Attention aux sentiments des jeûneurs !

24/06/2015

Il est difficile de faire le jeûne. Près de 15 heures sans boire –de l’eau évidemment-, sans manger et sans fumer, c’est dur. C’est tellement difficile qu’il y a des gens qui n’y arrivent pas ou qui ne croient pas à ce rite religieux ou qui n’en ont tout simplement pas envie. Mais comme on est en Tunisie, et qu’il s’agit là d’une minorité, alors on la persécute ! Comme c’est le cas pour les noirs, les homosexuels, les mères célibataires et j’en passe.

 

Dans la journée du 22 juin 2015, des policiers sont entrés dans un café à Gammarth. Ils ont demandé au tenancier de fermer boutique, de ne plus servir ses clients et ils ont aussi pris les identités de toutes les personnes présentes dans ce café. Après avoir résolu les problèmes de délinquance, de drogue et de terrorisme, nos valeureux policiers sont allés à la chasse aux « fattaras ». Il faut noter qu’il s’agit là d’un acte isolé selon le ministère de l’Intérieur et qu’une enquête sera ouverte. Formule magique pour enterrer définitivement un dossier.

 

Quoi qu’il en soit réellement de ces interventions policières, le mal reste intact : l’hypocrisie et l’intolérance. En parlant de racisme, un grand homme a dit un jour que celui-ci était la projection sur les autres de notre haine de nous-mêmes. Le fait d’obliger les cafés à couvrir leurs devantures, le fait d’interdire de manger en public pendant le ramadan, le fait de créer cette séparation entre « fattaras » et ceux qui font le jeûne, ne sont que des manifestations de cette foi vacillante. Une foi qui ne s’exprime que dans l’ostentatoire et dans le besoin de dire aux autres ce qu’ils doivent faire.

 

Le summum de l’hypocrisie reste quand même résumé dans cette belle phrase : « Il ne faut pas heurter les sentiments des jeûneurs ». C’est une phrase qui revient souvent mais dans plusieurs variantes comme celle de « il ne faut pas heurter les sentiments des musulmans » quand il s’agit de religion, ou « il ne faut pas heurter les sentiments des hommes » quand il s’agit d’une femme en jupe. C’est qu’on est des gens sensibles, nos sentiments ont vite fait d’être heurtés…

 

Et quand on est heurtés, ça va mal ! Rappelez-vous des émeutes qui ont eu lieu un peu partout dans le monde musulman suite à la diffusion d’un simple film ! Bref, les sentiments sont importants tant que tout le monde est d’accord sur le genre de sentiments qu’il faut avoir.

 

Cette intolérance latente chez le Tunisien profite de ce type d’occasions pour s’exprimer. Dans certains cas, on constate même des accointances avec la pensée de Daech. On se rappellera du tollé créé par l’existence d’une simple association pour les homosexuels en Tunisie. Même si le phénomène est plus vieux et existe depuis que le jeûne existe, le fait de ne pas faire ramadan reste mal vu par une société intolérante.
Le problème principal dans tout cela c’est que la Constitution tunisienne prévoit la protection des minorités et le libre exercice de la religion. Et c’est l’Etat qui est chargé de faire respecter cette Constitution qui devrait, en principe, s’appliquer à l’ensemble des citoyens tunisiens sans aucune distinction.

 

Mais ça c’est en théorie, car dans la pratique, on se souviendra de la reculade monumentale de notre gouvernement devant certaines contestations concernant la création d’une association d’homosexuels. Et concernant la question des non-jeûneurs, c’est la police, organe de l’Etat, qui a fait du zèle sans aucune base juridique.

 

Il ne fait pas bon être différent en Tunisie, nous le savions depuis longtemps déjà. Mais nous espérions une avancée en rédigeant une Constitution qui garantirait les droits des minorités et les libertés individuelles. C’est ce que nous avons fait mais seulement au niveau de la rédaction. Dans la pratique, c’est l’Etat qui porte des coups de canif à cette Constitution pourtant pondue dans la douleur. C’est l’Etat qui pêche en ne faisant pas appliquer les préceptes de cette Constitution.

 

Cette Constitution doit être défendue par l’Etat, c’est l’essence même de sa mission. Quant à la société, elle se conformera aux principes constitutionnels dès lors qu’ils seront érigés en préceptes intouchables. Prenons un exemple dans une démocratie établie, la France. Un sondage réalisé en mai 2015 montre que 52% des Français sont favorables au retour de la peine de mort dans leur pays. Toutefois, la peine de mort a été abolie en France en 1981 et il est inenvisageable qu’elle soit rétablie même si la majorité le souhaite. Pourquoi ? Parce qu’il y a une Constitution et qu’elle est intouchable. Même si la France reste critiquable sur plusieurs aspects, voilà une chose dont on devrait prendre de la graine.

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