Comment sortir de la « croissance médiocre »
25/04/2015
« Croissance médiocre », le terme est consacré depuis son utilisation par Christine Lagarde, Directrice générale du FMI, pour caractériser l’état de la croissance globale dans le monde. Larry Summers, ancien Secrétaire au Trésor américain, parle d’une stagnation séculière et d’autres évoquent même l’hypothèse de la fin de l’histoire économique. Les résultats économiques qui confortent ces hypothèses et le pessimisme ambiant ne manquent pas. Mais plus que l’analyse, c’est surtout le sentiment d’impuissance qui règne face à l’incapacité des politiques mises en place à sortir le monde de sa douce dérive vers une dépression chronique.
La croissance de l’économie globale devrait se situer selon les projections du FMI autour de 3,5% pour l’année 2015 et ne dépasserait que de 0,1% les résultats de l’année passée. Les pays développés ont enregistré une amélioration de leurs performances et la croissance passerait de 1,8 à 2,4%. Des progrès du fait du pays de l’Oncle Sam où le pragmatisme des pouvoirs publics et les politiques monétaire et fiscale non traditionnelles ont été à l’origine d’un important rebond de la croissance américaine qui passerait de 2,4 à 3,1% entre 2014 et 2015. Mais la croissance européenne est restée faible et connaîtrait une légère amélioration pour se situer autour de 1,5% en 2015 après une croissance de 0,9% en 2014, en dépit des politiques monétaires expansionnistes mises en place par la Banque Centrale Européenne. Le Japon, l’autre pôle de la croissance globale, connaîtrait lui aussi une amélioration de ses performances avec une croissance qui passerait de -0,1 à 1% en 2015 suite aux politiques anti-déflationnistes mises en œuvre par le gouvernement du Premier Ministre Abe. Ainsi, il faut remarquer que les politiques contra-cycliques appliquées par les pays développés après la grande crise de 2009 ont commencé à porter leurs fruits, certes de manière différenciée entre les différentes régions, avec une reprise de la croissance. Mais cette croissance reste faible et« médiocre » pour reprendre les termes de Mme Lagarde.
Cependant, l’autre développement important concerne la panne de la croissance dans l’autre locomotive qui a maintenu les performances globales après la grande crise. Il s’agit du monde émergent qui a vu sa croissance diminuer de manière constante depuis quelques années. Cette baisse se poursuivra en 2015 et le niveau de la croissance passerait de 4,6 à 4,3% en 2015. La plupart des grands émergents, même si c’est à des degrés divers, n’échappent pas à cette dégringolade. Le Brésil, en plus de la crise politique, est en pleine tourmente avec une croissance de -1%. La Russie subit de plein de fouet la chute des prix du pétrole et s’enfonce dans la crise avec une croissance de -3,8%. Même la Chine n’échappe pas à cette tendance avec une croissance qui passe en dessous du seuil fatidique de 7% considéré comme nécessaire par les autorités chinoises pour maintenir l’emploi (6,8% en 2015 contre 7,4% en 2014). Seule l’Inde échappe au marasme des pays émergents et connaît une légère hausse de sa croissance (7,5% pour 2015 contre 7,2% en 2014). Le monde arabe parvient également à maintenir une croissance de 2,9% et l’Afrique au sud du Sahara reste de loin la région qui connaît la croissance la plus forte (4,5% en 2015) même si elle est en régression (5% en 2014).
Mais, le véritable danger qui guette cette croissance « médiocre » est qu’elle s’accompagne d’une inflation faible ce qui pourrait nourrir les enchainements déflationnistes. Car rappelons-le, les consommateurs ont tendance à ajourner leurs décisions de consommation dans un contexte de baisse des prix ce qui pourrait emmener les entreprises à reporter leurs investissements. Cette dépression latente se traduit par la persistance d’un chômage à des niveaux élevés.
Plusieurs explications ont été avancées pour comprendre la persistance de cette stagnation séculiére. Le vieillissement de la population, qui réduit le potentiel de croissance, est un facteur important pour expliquer cette tendance. Il faut également rajouter à cela la faiblesse de la productivité ainsi que le faible niveau des investissements privés et publics. Ces explications montrent que cette dépression n’est pas le résultat de facteurs conjoncturels ou cycliques, mais que l’économie mondiale est en présence de problèmes de fonds qui l’empêchent de retrouver un rythme élevé pour lutter contre le chômage.
Mais, tout le débat porte aujourd’hui sur les moyens de faire face à cette douce certitude du pire. Et la question est de savoir comment sortir de cette « croissance médiocre » ? Aujourd’hui, il faut reconnaître que les réponses contra-cycliques, notamment l’expansionnisme monétaire et les relances budgétaires, mises en place par un grand nombre de pays après la grande crise ont permis à l’économie mondiale de maintenir un certain niveau de croissance. Il s’agit de perfusions, pour reprendre l’analogie préférée des économistes avec le monde médical, qui ont permis d’entretenir le malade. Il s’agit maintenant de passer à d’autres thérapies. En effet, il est temps de passer aux réponses structurelles pour donner un coup de fouet à la croissance mondiale et sortir de cette « croissance médiocre » avec notamment des investissements dans le domaine des infrastructures.
Ce débat sur l’économie mondiale n’est pas éloigné de nos préoccupations tunisiennes à deux niveaux. D’abord, la poursuite de cette croissance faible ne nous apportera pas le coup de pouce nécessaire à nos exportateurs et à notre croissance. Par ailleurs, face aux difficultés des politiques contra-cycliques de nous faire passer à un palier supérieur de croissance, il est plus que temps de passer au remède de cheval, autrement dit les politiques structurelles.
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