Ennahdha – Nidaa : Haro sur l’opposition !
22/09/2015
Le projet de loi sur la réconciliation économique présenté par la présidence de la République ne cesse d’alimenter la polémique. Outre le projet en lui-même, le débat a des conséquences en termes de positionnement politique. L’une des principales est le fait que les deux grands partis au pouvoir, Nidaa Tounes et Ennahdha, ont accordé leurs violons pour cibler l’opposition.
Tout est parti de la manifestation contre le projet de loi de réconciliation économique qui a eu lieu le 12 septembre 2015. Même si l’affluence à cette manifestation était loin d’être imposante, elle aura eu le mérite de montrer que l’expression démocratique était toujours possible indépendamment de l’aspect numéraire de la chose.
Par la suite, les critiques de la coalition au pouvoir ne se sont pas faites attendre. D’ailleurs, la campagne menée est aussi « violente » que celle entamée par les partis d’opposition. Le premier à avoir affûté ses arguments est le secrétaire général de Nidaa Tounes, Mohsen Marzouk. Ce dernier ne s’est pas privé de dénigrer ouvertement l’opposition tunisienne en l’appelant à « plus d’humilité » trois jours après la manifestation dans un passage sur Mosaïque FM. Le secrétaire général du parti a également qualifié d’ « irresponsable » le comportement de l’opposition. En effet, la manifestation avait été interdite dans un premier temps à cause d’une menace terroriste imminente selon le ministère de l’Intérieur. Cela n’a pas empêché la manifestation d’avoir lieu, révélant ainsi de graves dysfonctionnements dans le discours gouvernemental, au moins. Mais c’est une autre paire de manches…
Mohsen Marzouk a également dit que la solution ne résidait pas dans le fait de faire sortir les gens dans la rue. C’est pourtant avec cette méthode qu’a eu lieu le sit-in du Bardo et que le gouvernement Laârayedh a fini par quitter le pouvoir. Par conséquent, l’expression collective dans la rue est et restera un levier politique important.
Le président du parti Ennahdha, Rached Ghannouchi, n’a pas rechigné à emboiter le pas à son allié au pouvoir, Nidaa Tounes. A l’image de Moncef Marzouki, Rached Ghannouchi est allé sur une chaîne étrangère critiquer l’opposition tunisienne. C’est sur la chaîne Al-Arab Alyaoum qu’il s’est exprimé sur la question dans une interview diffusée le 21 septembre 2015. Ainsi, le cheikh reproche à l’opposition tunisienne le fait qu’elle ne soit pas constructive et qu’elle préfère le chaos au dialogue constructif. Une ressemblance frappante avec ce qu’il avait déclaré concernant la manifestation, réprimée férocement, le 9 avril 2012. Ghannouchi avait déclaré que les manifestants étaient des « anarchistes staliniens » et les a accusés de vouloir semer le chaos !
D’autres membres du parti islamiste se sont également exprimés sur le sujet. On retiendra notamment le commentaire solennel de Rafik Abdessalem sur le sujet du projet de loi de réconciliation économique et financière. L’ancien ministre des Affaires étrangères a déclaré que c’était « la réconciliation ou la guerre civile », comme s’il n’y avait aucune autre option. Il a aussi dit que le projet de loi devra être amendé avant d’être adopté.
En gros, Ennahdha et Nidaa Tounes décochent leurs flèches pour achever une opposition déjà bien moribonde. Leur intérêt en cela n’est oas tant de défendre le projet de loi de réconciliation économique car ce projet, dans sa version amendée, entendons ici la version acceptée par Ennahdha, passera de toute manière. L’intérêt pour les deux grands partis est de décrédibiliser, et donc d’éliminer, la voix des partis d’opposition comme le Front populaire, Al Massar, Attayar ou le CPR.
Ce n’est pas que ces voix soient « dérangeantes » outre mesure puisque la manifestation, il faut bien l’avouer, était un fiasco. C’est plutôt la volonté de garantir une certaine paix sociale pour des objectifs purement électoralistes. En effet, ni le pays, ni les partis au pouvoir, ne peuvent se permettre d’être tenus pour responsables d’un chaos similaire à celui connu sous la troïka. Donc, pointer les défaillances et les manquements de l’opposition sert à avorter tout nouveau mouvement du genre de la manifestation du 12 septembre.
Il faut dire aussi que l’opposition a bien donné le bâton pour se faire battre. En effet, l’opposition est loin d’être une entité homogène et ça s’est bien vu à l’occasion de la manifestation contre le fameux projet de loi. Les défilés se sont succédés et certaines composantes de l’opposition ont refusé de marcher avec d’autres. Il y avait la marche du Front populaire et d’Al Massar d’un côté, et la marche CPR/Attayar/ Ettakatol de l’autre. Donc, une opposition en ordre dispersé qui, en plus, ne supporte pas la critique et monte sur ses grands chevaux dès qu’un reproche lui est adressé. Il faut dire que les grands chevaux sont maintenant vieux et fatigués puisqu’on continue à mettre en avant le risque du retour de la dictature, l’atteinte à la liberté d’expression et autres acquis sur lesquels il n’y aura pas de retour possible.
La contestation est particulièrement malvenue quand elle vient de partis qui étaient au pouvoir et qui n’ont pas bronché lors de la manifestation du 9 avril 2012. Certains ont même salué l’action de la police et même des milices qui l’accompagnaient avant de se transformer, aujourd’hui, en défenseurs des libertés. On reproche également à l’opposition de ne pas être constructive et de ne pas proposer d’alternative. Ceci est vrai pour une majorité de partis contestataires mais pas pour le Front populaire qui a annoncé via Ahmed Seddik, le président de son bloc parlementaire à l’ARP, que le parti proposerait un projet de réconciliation qui lui est propre. A ce jour, cependant, rien n’a encore été annoncé.
Il est vrai que l’on pourrait s’indigner de l’attitude des deux grands partis au pouvoir vis-à-vis des partis de l’opposition. Il y a une certaine arrogance dans leur attitude commune en plus de la tendance qu’ils ont à minimiser le rôle de l’opposition. Mais d’un autre côté, il faut aussi avouer que l’opposition tunisienne actuelle ne représente qu’elle-même et que son incapacité à mobilier, à expliquer et à agir efficacement est inquiétante aussi bien pour les élections à venir que pour la construction démocratique dans son ensemble en Tunisie.
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