Gouvernement tunisien – Douze enterrements et zéro démission
26/11/2015
Désormais, c’est devenu une habitude. Au lendemain de chaque attentat, les hommes politiques multiplient les interventions médiatiques pour dénoncer la barbarie et appeler à la lutte contre le terrorisme. Trois à quatre jours après, on revient aux problèmes ordinaires du quotidien.
Pourtant, force est de constater que le gouvernement actuel enregistre le triste record historique de voir trois attentats d’ampleur, sans qu’il n’y ait la moindre autocritique ou appel à la démission. La responsabilité de Habib Essid est pourtant bien engagée dans ce qui nous arrive…
« Jebali dégage ! Laârayedh dégage ! Marzouki dégage ! ». On ne compte plus le nombre de fois où l’on a vu de tels slogans entre 2012 et 2014 du temps dela Troïka. Aulendemain de chaque attentat terroriste, c’était la même revendication qu’on lisait àla Unedes médias et qu’on entendait dans la bouche des opposants : ce gouvernement est incompétent et se doit de partir.
Moncef Marzouki, président de la République, était, pour sa part, tourné en dérision à chacun de ses actes ou de ses absences d’actes. « Quoique je fasse, je serai dénigré et ils trouveront quelque chose à redire », se plaignait-il à l’époque.
L’arrivée de Mehdi Jomâa àla Kasbahn’a pas éliminé pour autant les actes terroristes et encore moins l’élection de Nidaa et de Béji Caïd Essebsi à la tête de l’Etat. C’est même pire, puisquela Tunisieenregistre trois attentats d’envergure en zone urbaine en l’espace de huit mois. Paradoxalement, on enregistre très peu d’appels à la démission, voire pas du tout.
Du côté de certains dirigeants dela Troïka, on voit en cette absence d’animosité des médias et de la société civile envers les dirigeants actuels du pays, une sorte de complicité avec d’hypothétiques lobbys et mafias économico-politico-sionistes. La vérité est naturellement moins caricaturale et plus complexe.
Contrairement aux dirigeants actuels, les dirigeants dela Troïkaportaient deux lourds fardeaux : le premier est que beaucoup d’entre eux ont été condamnés pour des actes terroristes, sous l’ancien régime et n’ont pas caché leur sympathie avec les terroristes après la révolution. Ils défendent, surtout, la même idéologie : instaurer un califat oùla Chariâadevientla Constitution. C’est bien l’ancien chef du gouvernement, Hamadi Jebali , qui parlait de ce califat, c’est bien Abdelkrim Harouni qui défendait la libération des terroristes de l’attentat de Soliman et c’est bien Ali Laârayedh qui a autorisé la manifestation devant l’ambassade américaine au point où elle a été envahie. C’est le même Laârayedh qui a laissé filer le terroriste le plus recherché du pays, Abou Iyadh, et c’est bien sous son gouvernement que l’on a enregistré les voyages organisés de milliers de jeunes versla Syrie.
Le deuxième fardeau porté parla Troïkaest que les nominations s’étaient faites grâce à un militantisme politique et en aucun cas pour des compétences particulières dans un domaine précis. Ils sont même parfois incompétents dans leur propre secteur d’activité à l’instar de Salim Ben Hamidène, qui a été incapable de s’inscrire à l’Ordre des avocats àTunis, ou de Rafik Abdessalem qui ignorait jusqu’à la longueur des cotes de son pays.
Si les dirigeants actuels du pays ne portent pas du tout ce lourd passif, leur bilan n’est pas pour autant plus reluisant que celui de leurs prédécesseurs. L’efficacité est totalement absente et leur communication s’avère être aussi dramatique, sinon pire, que celle dela Troïka.
Le summum de la communication déficiente s’illustre à merveille avec les deux communiqués publiés après l’attentat meurtrier du 24 novembre, celui de la cellule de crise présidée par Habib Essid et celui du Conseil supérieur de la sûreté nationale. On ne sait trop d’ailleurs comment qualifier ces deux communiqués, résumant l’essentiel des décisions prises après l’attentat : écrit-on sciemment en langue de bois (auquel cas on s’interroge pourquoi) ou est-on réellement incompétent et inconscient au point tel, qu’un haut cadre syndical de la sûreté présidentielle, Anis Mogâadi, ait dû sortir de ses gonds et oublier son devoir de réserve pour cracher des vérités toutes crues à ses supérieurs. Il n’y a d’ailleurs pas que lui qui a critiqué ces décisions, tout le monde en parle.
Après l’annonce de l’état d’urgence et du couvre-feu (pourquoi d’ailleurs le couvre-feu ?), la 3ème décision du Conseil supérieur de sûreté nationale est d’annoncer la guerre totale contre le terrorisme. Qu’est-ce que cela veut dire quand on sait qu’on est déjà en guerre déclarée depuis 2012 et que ceci a déjà été répété des dizaines de fois ?
La 4ème mesure consiste à fermer les sites et pages FB en lien avec le terrorisme, alors que de telles pages auraient dû déjà être fermées depuis des années. Sous l’ancien régime, tout était fermé, y compris Youtube et Flickr.
La 5ème mesure est d’activer la stratégie nationale pour lutter contre le terrorisme, alors que cette stratégie devait déjà être activée depuis mars dernier (au moins) avec les attentats du Bardo. On en a également parlé en juin après les attentats deSousse.
La 7ème mesure est d’appliquer la loi contre le terrorisme, alors que cette loi a déjà été votée et publiée au JORT et on attend encore les décrets d’application.
La 8ème mesure consistant à contrôler administrativement les suspects de terrorisme aurait déjà dû être appliquée depuis le mois de mars.
La 9ème mesure, consistant à actualiser les fichiers des résidents étrangers en Tunisie, n’a pas de sens, en ce moment précis, quand on sait que tous les terroristes impliqués dans les attentats de cette année sont des Tunisiens autochtones.
La 10ème mesure, consistant à créer 6.000 emplois à l’Intérieur et dans l’Armée, est un contre-sens d’ordre économique quand on sait que l’administration a un surplus de fonctionnaires déjà. Pourquoi donc ne pas réaffecter le surplus de ces fonctionnaires dans ces deux ministères pour s’occuper de tâches administratives et affecter les agents sécuritaires affectés à ces tâches à des missions d’ordre sécuritaire.
La 12ème mesure consiste à mettre en place des mesures (sic !) à l’encontre des djihadistes rentrant de Syrie et de Libye. Or ces mesures auraient déjà dû être prises depuis 2013 ou 2014.
La 13ème mesure consiste à fermer les frontières terrestres avecla Libye, ce qui a de quoi alimenter la tension au sud du pays et encourager les passages clandestins. Les armes avec lesquelles agissent les terroristes sont, de toute façon, déjà en Tunisie si l’on en témoigne par les différentes saisies opérées par les forces de l’ordre ces derniers temps.
Outre ces mesures du Conseil supérieur dela Sûreténationale, on note celle de la cellule de crise consistant à interdire le blanchiment d’argent et ceux qui font la promotion du terrorisme. Or, cela fait des mois que les associations proches des milieux radicaux sont dénoncées et que l’on appelle à contrôler le financement des associations et des partis. Il se trouve que l’on étouffe à chaque fois un scandale qui éclate à ce sujet. Les meilleurs exemples en date sont celui du financement d’un candidat à la présidentielle par des pays étrangers (rapport sciemment tronqué dela Courdes comptes) et celui du financement occulte d’une chaîne de télévision, officiellement interdite et continuant à émettre en pratique.
Dans les « mesurettes » prises au sommet de l’Etat, les véritables mesures attendues par la population demeurent absentes. Anis Mogaâdi le dit clairement et sans ambigüité : pourquoi n’appelle-t-on pas les différents hauts cadres sécuritaires limogés au lendemain de la révolution. « Nous avons tous servi l’ancien régime en croyant avoir servi l’Etat. Nous avons tous compris la leçon et nous servons maintenant l’Etat sans distinction de sa couleur politique. Pourquoi n’appelle-t-on pas ces hauts cadres qui ont la compétence nécessaire pour lutter contre le terrorisme ? ».
M. Mogâadi n’est pas le seul à lancer un tel appel, on le voit par centaines sur les réseaux sociaux et les plateaux télévisés et on l’écoute dans les cafés et par les chauffeurs de taxi. Encore une fois, sur ces mêmes réseaux sociaux et dans cette même rue, les deux responsables des limogeages, Farhat Rajhi et Sihem Ben Sedrine, sont nommément cités et insultés les rendant responsables de toute la débâcle sécuritaire que l’on observe aujourd’hui dans le pays. Idem pour différents dirigeants d’Ennahdha, ayant un passé terroriste et qui se retrouvent aujourd’hui au pouvoir.
On ne comprend pas non plus comment le ministère de l’Intérieur n’a toujours pas un directeur général dela Sûreténationale, ni comment l’appareil du renseignement n’ait pas retrouvé son efficacité d’avant sa dissolution en 2011.
D’après des sources bien informées, Najem Gharsalli, ministre de l’Intérieur, aurait proposé depuis des mois des remaniements au sein de l’appareil sécuritaire et ces dossiers « dorment » encore sur le bureau de Habib Essid. Ce dernier exige des preuves avant de limoger quiconque et veut éviter toute histoire de règlement de comptes. Quant aux personnes recrutées sous Ali Laârayedh, elles auraient toutes quitté l’Intérieur.
Sauf que voilà, quelles que soient les raisons et les justifications, le résultat est là : le terrorisme est non seulement présent dans les villes, mais il est à 100 mètres du ministère de l’Intérieur et sur l’une des artères principales et des plus fréquentées de la capitale ! Il faut bien que le président dela Républiqueen tire les conséquences et désigne un responsable. Même s’il n’est pas coupable, il n’en demeure pas moins qu’il est quand même responsable de la débâcle à cause de sa politique fâcheuse et son retard (voire l’absence) dans la prise de décisions et l’application de ces décisions.
Les 1,5 million d’électeurs de Béji Caïd Essebsi ont voté un programme très clair où la sécurité figure dans la priorité des priorités. Un an après, cette sécurité est absente sans qu’aucun responsable ne soit désigné et sanctionné.
« Habib Essid dégage ! », c’est le titre qu’aucun média n’ose écrire, y compris Business News, au nom de la concorde et de l’unité nationale, mais également au nom de la règle (très juste) qu’un général ne doit pas quitter le champ de guerre. Jusqu’à quand ? A un moment ou un autre, il faut bien admettre et avouer que le général a des compétences limitées et s’avère être incapable de mener cette guerre. Une armée ne se conduit pas avec la baraka de Sidi Mehrez et une guerre contre le terrorisme ne se mène pas avec des « mesurettes » en langue de bois.
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