Interview de Myriam Belkadhi : la Tunisie n’avancera qu’avec la culture et les valeurs de la République
Officiellement désignée en tant qu’ambassadrice de la CEDAW, Myriam Belkadhi, journaliste et femme de média, nous a accordé sa première interview. Souriante et pleine d’énergie, elle nous a fait part de ses positions concernant la situation de la femme en Tunisie ainsi que différentes questions faisant le point de l’actualité. Interview.
Au lendemain de cette journée spéciale, pensez-vous que la condition de la femme a progressé ou régressé dans les faits en Tunisie ?
La condition de la femme en Tunisie est, selon moi, satisfaisante. Elle bénéficie de dispositions qu’on peut qualifier d’excellentes comparativement à celles existantes dans d’autres pays de par le monde, notamment ceux arabes. Je dirai même qu’aucun pays arabe ne peut se targuer d’accorder la même place que celle dont elle bénéficie chez nous.
Franchement, je ne peux dire que cette condition a régressé. Au contraire, je dis que la femme tunisienne doit être fière de ses acquis qui peuvent être, certes améliorés ou renforcés, mais qu’il ne faut pas minimiser.
Et comme vous avez parlé des faits, je dirai que les lois sont bien là, il faut juste les appliquer et les mettre en pratique conformément aux textes.
Dans le même ordre d’idées, des voix s’élèvent comme celle de Sana Ben Achour disant que le Code du statut personnel est dépassé. Qu’en pensez-vous ?
Même si je n’ai pas encore eu vent des propos de Sana Ben Achour, je persiste à dire que la condition de la femme tunisienne est bonne et que le Code du statut personnel lui a beaucoup apporté, mais il est évident qu’en l’espace de 59 ans, il y a de nouvelles données qui marquent la société tunisienne qui a subi une grande évolution.
C’est donc dans cet esprit qu’il faut voir les choses à savoir l’apport de certains correctifs pour être au diapason des nouveautés, aussi bien d’ordre juridique, social que mental.
Pensez-vous que les lois tunisiennes consacrent l’égalité homme-femme? Que reste-t-il à faire aujourd’hui ?
Oui, les lois en la matière en Tunisie sont en avance par rapport à ce qui existe ailleurs. Ce qu’il faudrait, donc, est de les appliquer. Et si on y parvient, croyez-moi, beaucoup de choses seront améliorées, car tout se passe dans la tête et dans les mentalités. Les lois sont indispensables, mais un travail de sensibilisation en profondeur est aussi obligatoire pour parvenir à une application aussi rigoureuse que fluide des réglementations en vigueur.
Cette égalité doit-elle, à votre avis, se faire dans les deux sens ? On oublie souvent qu’il existe des textes discriminatoires à l’encontre de certains hommes comme par exemple celui de la pension alimentaire…
C’est évident que l’égalité doit se faire dans les deux sens, mais à mon avis, il ne faut pas poser la problématique dans cette perspective. Personnellement, je ne pense pas « homme » et« femme » séparément. Je suis pour une vision globale des droits du couple et de la famille.
D’ailleurs, je saisis cette opportunité pour dire que je suis contre l’existence d’un ministère dela Femme, mais plutôt, de seulement, un ministère dela Famille. Ilne faut pas que l’homme se sente lésé ou que la femme se voie privée de ses droits.
En tant qu’ambassadrice du CEDAW quelle sera votre mission en matière de défense du principe de l’égalité entre les hommes et les femmes en Tunisie ?
J’ai été heureuse et agréablement surprise d’apprendre que j’ai été retenue à cette mission. D’ailleurs, je ne suis pas seule choisie. Nous serons trois femmes, la journalise Emna Louzyr Ayari, l’actrice Wajiha Jendoubi et moi-même ainsi que le jeune activiste et défenseur des droits de l’Homme, Oussama Bouagila, un jeune de moins de trente ans dont l’association me fait un grand plaisir.
Nous serons les représentants de trois organismes relevant de l’Organisation des Nations Unies, en l’occurrence ONU Femmes, le Haut-commissariat aux droits de l’Homme (HCDH) et le Fonds des Nations Unies pour la population (FNUAP).
La mission s’annonce exaltante, mais elle ne sera pas de tout repos, car je compte bien m’investir à fond dans cette tâche afin de contribuer, un tant soit peu, à la concrétisation de cette égalité tant souhaitée qui est, je le rappelle, une égalité de genre et une lutte contre toute forme de discrimination.
Est-il difficile aujourd’hui d’être femme et journaliste ? Vous êtes souvent agressée sur antenne notamment par islamistes et autres anti-démocrates. Comment ressentez-vous cela ?
Je pense qu’il faudrait poser la question dans un cadre plus global. Il n’y a pas que la femme journaliste qui est agressée. Elle l’est dans la plupart des secteurs, d’où une action de tous les jours et dans tous les domaines qui s’impose afin d’épargner à la femme tension, stress et pression.
Il faut, également, voir la situation de journaliste dans son ensemble et non, uniquement, en tant que femme.
Comment vivez-vous le passage du visuel à l’audio ?
Je tiens à souligner que mes débuts journalistiques l’ont été à la radio avant de passer à la télévision puis de retourner, de nouveau, à l’audio. Et je dirai que chaque genre à son charme et ses avantages. Mais, personnellement, je n’ai pas de problème ni avec l’un, ni avec l’autre. Je n’ai pas eu de problèmes durant ma carrière et jusque-là avec aucun de mes invités sur les différents plateaux, dans le sens où il y a eu toujours un respect réciproque entre nous.
Certains considèrent que la femme est sous représentée dans la vie politique mais aussi diplomatique. A quoi cela est-il dû, selon vous ?
Vous avez raison, la femme n’est pas équitablement représentée par rapport à l’homme, mais pas uniquement dans la vie politique ou diplomatique. Elle est peu présente dans les différents postes importants, plus précisément dans les centres de décision.
D’autre part, je trouve que cette situation n’est pas spécifique àla Tunisie, mais est générale à tous les pays dans le monde où la femme souffre d’une présence très réduite à ce niveau.
Peut-on avoir votre opinion sur les dernières problématiques à propos de la réconciliation nationale et de la polémique suscitée autour de la réapparition de plusieurs cas de torture ?
Concernant la réconciliation nationale, j’estime qu’il ne faut pas avoir une idée rigide. Il y a des cas où l’on peut accepter ce principe de réconciliation, c’est-à-dire pour ceux n’ayant pas commis de crimes ou volé les biens d’autrui ou autres délits pouvant tolérer une réparation ou une compensation. Mais en aucun cas, il ne faut permettre l’instauration d’une sorte d’impunité. Ceux qui ont lésé autrui ou volé doivent payer et être punis.
Il n’est pas question de laisser certains échapper à la justice. Tous ceux qui ont fauté sont appelés à rendre des comptes, d’une manière ou d’une autre aussi bien dans le cadre judiciaire ou dans celui d’une réconciliation, selon la nature du délit.
Il en est de même pour les cas de torture dont les auteurs doivent être jugés et sanctionnés. Bien entendu après avoir mené une enquête minutieuse de la part d’une commission indépendante et après élaboration des rapports de la médecine légale. Autrement après avoir établi toutes les preuves, loin de toute tentative de manipulation, l’objectif final étant l’établissement de la vérité et la reddition des comptes à toute personne coupable d’abus ou de dépassements en la matière.
Au final je voudrais dire quela Tunisiene pourra avancer qu’avec la culture et l’enseignement des vraies valeurs dela République. Ilfaut se battre, il faut rêver et ne jamais baisser les bras.
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