Interview de Noômane Fehri : L’opportunisme politique est plus que regrettable !

27/12/2015

Noômane Fehri, ministre des Technologies de l’Information et de l’Economie numérique, nous a chaleureusement accueillis dans son bureau à Tunis, vendredi 25 décembre 2015. De la stratégie de son ministère pour rattraper le gap technologique entre la Tunisie et les pays développés, de la lutte contre le cyber-terrorisme, de l’actualité politique en Tunisie, de la crise de Nidaa Tounes et du positionnement d’Afek, le ministre a bien voulu s’exprimer.

 

 

Il est évident qu’il existe un important gap technologique entre la Tunisie et les autres pays développés. Comment comptez-vous le rattraper ? Cela serait-il possible concrètement ?

Il existe trois types de gap entrela Tunisieet les pays développés. Le premier est le gap de la connectivité. Les pays développés sont tous bien connectés avec un haut débit accessible à tous. Bien sûr, pour combler ce gap, il faudra connecter tout le monde et c’est absolument notre objectif dans les cinq ans à venir. Nous avons déjà commencé le plan national haut débit, bien qu’il n’ait pas été encore finalisé. Nous avons lancé la 4G qui sera opérationnelle avant l’été prochain quand les opérateurs auront la licence. Cela augmentera la connectivité haut débit d’ici 2018 à 70%. Elle sera à presque 100% en 2020.

Il y a d’autres gaps dont celui de la conscience numérique. Pour y remédier nous lançons un programme d’alphabétisation numérique. Il y a aussi le gap entre les genres dans le domaine technologique et celui générationnel, d’où une politique globale pour les combler.

 

 

Quelles sont les mesures qui seront mises en place pour aider et encourager les jeunes à innover dans les TIC ?

Dans le plan Tunisie Digitale 2018, un plan élaboré entre le secteur privé et public ainsi que la société civile, nous avons mis des axes très techniques. Nous avons décidé d’orienter ces axes sur des objectifs très clairs : connecter tout le monde d’ici 2020, introduire la 4G, le service universel. Un autre objectif est de s’assurer que nos enfants aient accès aux mêmes connaissances que tous les enfants dans le monde. C’est pour cela qu’il va falloir transformer toutes nos écoles en écoles numériques. Une école digitale veut dire des établissements connectés, des élèves utilisant des tablettes avec un accès au contenu national et international, des instituteurs et des professeurs formés…

Le troisième objectif c’est de s’assurer que le process est optimisé et transparent. C’est pour cette raison que nous allons vers une administration numérique, où le papier sera supprimé.

 

Par ailleurs, notre objectif est de créer 100 mille emplois sur les cinq ans à venir. 50 mille emplois viendront de SmartTunisia, qui est le programme visant les grandes entreprises nationales ou internationales dédiées à l’off-shore. Les 50 mille autres emplois vont provenir des jeunes entrepreneurs qui lanceront leurs PME. Ce programme devrait être appelé Start-upTunisia.

 

 

La 4G fera son entrée prochainement en Tunisie, alors que les consommateurs se plaignent souvent de la qualité de la 3G, sachant que c’est pareil pour l’ADSL. Quelles sont les solutions immédiates pour y remédier ?

La 4G est la réponse au problème. Comme on était très en retard dans le lancement de la 3G, les usages des citoyens ont avancé. Ils utilisent beaucoup plus de bande passante qu’avant, donc celle-ci n’est plus suffisante. C’est comme si on avait une petite route prévue pour faire passer une voiture toutes les deux minutes et qu’on décidait d’y faire passer quatre à cinq voitures par seconde. La 4G est donc la réponse puisque la 3G ne suffit pas aux demandes des utilisateurs.

Pour l’ADSL, nous avons une infrastructure très vieille. La fibre optique a été installée un peu partout, entre les villes et tout autours, autant à l’intérieur des villes elle n’y a pas été installée. Il faut dire que cela coûte très cher. Les opérateurs doivent se mettre d’accord sur la manière d’optimiser cet investissement, pour que la fibre optique arrive jusqu’aux maisons. Pour l’instant, on a des câbles en cuivre et certains sont en mauvais état.

 

 

Vous avez comme but de permettre à toutes les familles tunisiennes d’accéder à la connexion à haut débit. Quel serait le coût d’un tel projet et sa faisabilité, sachant que plusieurs régions dans le pays souffrent de l’absence du strict minimum (route, eau, électricité, etc.) ?

Le but n’est pas de connecter tout le monde mais d’assurer l’égalité des chances entre nos concitoyens. Qu’ils soient dans les régions éloignées ou dans les grandes villes, il faut qu’on arrive à permettre à nos enfants d’avoir une égalité des chances.

Bourguiba avait axé l’égalité des chances à travers l’éduction, mon but est de l’assurer à travers la connectivité. Aujourd’hui, il ne faudra plus considérer la connectivité comme un luxe. Est-ce que l’électricité est un luxe ? Y a-t-il une économie sans électricité ? Est-ce qu’il y a une économie sans internet ?  La réponse est non ! Donc internet n’est plus un luxe, c’est le strict minimum.

 

 

On fait face à un terrorisme 2.0 qui utilise internet comme une arme. Quels sont les moyens et quelle est votre stratégie pour lutter contre le cyber-terrorisme ?

Pour une guerre 2.0, il faut une armée 2.0. Il faut dire aussi que ce n’est pas seulement une guerre tunisienne, mais aussi internationale. Donc, la stratégie doit se baser sur une coalition internationale. J’ai été à l’ONU début décembre, où j’ai clarifié la position dela Tunisiedans ce monde 2.0. De nos jours, la diplomatie numérique prend de plus en plus d’ampleur.

Il faut se poser la question suivante : qui sont nos alliés dans cette guerre ? Nos alliés sont les pays du Maghreb, l’Europe, les pays méditerranéens et les Etats-Unis. Bien sûr, il y a d’autres camps auxquels nous ne appartenons pas nécessairement, mais nousrestonsfortement alliés. Aujourd’hui on ne peut plus rester totalement non aligné par ce que dans ce cas la guerre se fera sur notre sol. C’est pour cette raison qu’il faut faire des choix, et le choix politique est clair et net dans ce domaine du numérique.

Sur le plan interne, mon département n’est qu’une composante dans la stratégie de lutte contre le terrorisme, qui œuvre aux cotés des ministères dela Défenseet de l’Intérieur. Nous les aidons à accomplir leur tâche avec des équipes spécialisées, dans la légalité et le respect des droits de l’Homme.

D’autre part, il ne suffit pas de traquer les terroristes, il faudra aller aux sources du mal et voir la genèse, afin de préparer une contre-offensive et d’envoyer le message contraire. C’est aussi un travail de collaboration. Il y a d’autres solutions qui ne sont pas sécuritaires, que ce soit le message culturel, religieux, démocratique, etc.

 

En résumé, trois aspects de la stratégie: international-géostratégique, coopération interne et plateforme de contre-message.La Tunisiea une stratégie de lutte contre le terrorisme complète dans laquelle nous nous insérons.

 

 

Un point sur l’actualité politique ? Que pensez-vous de la crise à Nidaa Tounes et quel est votre positionnement ?

Il y a un stress. La crise de Nidaa Tounes est un événement malheureux. C’est dommage, mais maintenant, il faudrait faire avec. Je tiens à rappeler que notre premier allié reste Nidaa Tounes parce qu’Afek partage les mêmes valeurs de leur projet sociétal.

D’autres forces politiques commencent à se positionner pour grignoter de l’électorat. Je tiens encore à préciser que nous sommes un parti social et libéral en même temps, que le parti contient aussi bien des gens conservateurs que des libéraux. On est un exemple de ce que devrait êtrela Tunisie.

Il faut le dire, des partis politiques essaient, dans le sillage de la crise à Nidaa, de profiter de la situation. Pour notre part, nous continuons à être très clairs dans notre positionnement.

Pas d’opportunisme politique donc par rapport à la crise de Nidaa. Ce qui compte c’est la stabilité. L’opportunisme politique est regrettable ! Nous sommes clairs dans notre positionnement et stratégie et nous finirons par séduire les gens qui pensent et qui ont les mêmes valeurs que nous.

 

 

Qu’en est-il des élections municipales. Où en sont vos préparatifs ?

On a déjà lancé les ateliers de formation pour les élections. Nous sommes déjà à notre troisième mois. Nous avons un congrès prévu en avril 2016. Nous le faisons de manière civilisée et constructive, bien qu’il existe des tendances au sein du parti. On dit que de la différence jaillit la lumière.

 

 

Un remaniement ministériel est imminent, que pourriez-vous nous dire à ce sujet ?

Nous ne sommes pas particulièrement inquiétés. Nous avons confiance en le chef du gouvernement qui fera ce qu’il y a de mieux je pense. M. Essid a observé la scène politique et c’est la personne en Tunisie qui a toutes les cartes en main. Je n’ai aucun doute sur son patriotisme et sa clairvoyance. Et puis encore une fois, il ne s’agit pas d’individus, mais d’une coalition politique et d’un avenir commun.

 www.businessnews.com.tn

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