La Franchise en Tunisie entre rêve et difficile réalité

22/11/2015

Qui d’entre nous n’a jamais lorgné une vitrine pimpante d’une enseigne internationale en rêvant de la voir arborer les rues des grandes villes de la Tunisie. Qui ne s’est jamais surpris à rêver de ramener telle ou telle marque en Tunisie en se disant que ça marcherait sûrement et en se demandant pourquoi personne n’y avait encore pensé ? La franchise est le rêve de tout jeune entrepreneur ou pas, épris d’une marque et aspirant à la gloire facile octroyée par cet accord commercial qui sert sur un plateau d’argent une notoriété et une expérience que d’autres mettront des années à acquérir.

 

Entre rêve doré où tout semble possible et réalité semée d’embûches dans un petit pays du nord de l’Afrique, qui de surcroit traverse les turbulences d’une révolution politique, économique et sociale, l’Institut Arabe Des Chefs d’Entreprises a organisé au courant de cette semaine, la première édition du Forum de l’Entrepreneuriat consacrée notamment à la franchise afin d’apporter quelques éléments de réponse à ceux qui souhaiteraient en tenter l’expérience.

 

La plupart des mesures relatives à la politique d’investissement restent axées sur la promotion et la libéralisation de l’investissement. Dans le même temps, la part des mesures réglementant ou restreignant l’investissement a augmenté, atteignant 27 % en 2013. On constate des tendances divergentes dans l’élaboration des règles régissant l’investissement international: certains pays se désengagent du système, en partie en raison de l’évolution de l’arbitrage en matière d’investissement, alors que d’autres pays intensifient et multiplient-les négociations.

 

L’amélioration de l’environnement des Affaires et la promotion de l’investissement privé, sous toutes ses formes, passe impérativement par la revue des pratiques et règles freinant le développement des entreprises et de l’économie Tunisienne.

L’octroi des franchises représente une solution entrepreneuriale, garantie et pérenne pour un développement économique à valeur ajoutée. Cependant, le cadre institutionnel tunisien actuel peine à être source de motivation pour les entrepreneurs et à créer un effet accélérateur pour l’entrepreneuriat.

 

C’est dans cette optique que s’inscrit la première édition du Forum de l’Entrepreneuriat pendant laquelle des problèmes relatifs à la relation entre franchiseurs et franchisés ont été débattus et décortiqués.

 

La franchise est une parmi d’autres possibilités d’organisation de relation entre fournisseur et revendeur.  L’accord de franchise, selon le site Tunisie Franchise, est un contrat de distribution qui associe une entreprise, propriétaire d’une marque ou d’une enseigne, le franchiseur, à un ou plusieurs commerçants indépendants, les franchisés. En contrepartie d’une rémunération directe ou indirecte, le franchiseur met à la disposition du franchisé sa marque et/ou son enseigne, ses produits, son savoir-faire, une assistance technique, et son réseau.

 

Maître Sami Kallel, a indiqué à l’occasion de ce Forum, que le concept de Franchise n’est pas récent et qu’il existe depuis les années 1980, néanmoins il n’existait guère de régime juridique propre à la franchise, jusqu’à la promulgation récente de la loi n°2006-69 du 12/08/2009 relative au commerce de distribution. Une loi qui alloue son chapitre V à la reconnaissance du contrat de franchise. Cette loi donc et en son chapitre V vient apporter pour la première fois une reconnaissance et une définition légale de la franchise :

« Art. 14 – Le contrat de franchise est un contrat par lequel le propriétaire d’une marque ou d’une enseigne commerciale accorde le droit de son exploitation à une personne physique ou morale dénommée franchisé, et ce, dans le but de procéder à la distribution de produits ou à la prestation de services moyennant une redevance. [...] »
Selon Maître Moncef Barouni*, un lecteur averti aurait pu s’attendre à un texte de loi exhaustif qui encadre la franchise. Or, il n’en est rien. Le chapitre consacré à la franchise ne contient que 4 articles énonçant des principes généraux et renvoyant les détails aux textes d’application. Les seules obligations contraignantes juridiquement, sont celles de l’exigence d’un contrat écrit et d’une information précontractuelle dans un délai de 20 jours mais dont on ignore le contenu.
Ce transfert, ou abandon du pouvoir normatif au pouvoir exécutif dénote d’une certaine appréhension du législateur vis-à-vis de la franchise.

 

En effet, outre le contenu de l’information précontractuelle, les clauses d’exclusivité qui constituent l’un des piliers de la franchise sont par exemple absentes. Rym Bedoui Ayari, consultante spécialisée en franchises a souligné, pour sa part, que les investisseurs étrangers sont rassurés de voir que sur un marché donné il existe des franchises. Ceci est dû au fait que la franchise est très règlementée et obéit à des règles très strictes. C’est donc rassurant de voir que des marques internationales ont parié surla Tunisieet s’y sont implantées, pour ceux qui pensent le faire. Ils se disent que dans ce pays on respecte les règles du jeu et la propriété intellectuelle et leurs droits sont ainsi protégés. Elle a ajouté que les marques internationales ont commencé à s’intéresser àla Tunisieà partir de 2011, avant cela, c’était plus compliqué, précise-t-elle,  parce qu’il n’y avait pas une bonne visibilité politique. En 2014 avec les dernières élections les gens ont été rassurés, il y a eu des demandes boostées par l’ouverture de Johnny Rockets et de Chilis qui a provoqué un effet domino.

 

Rym Ayari a aussi tenu à souligner que les franchises internationales nécessitent des investissements très importants et qui ne sont pas à la portée de tout le monde. Il y a des mécanismes qui se mettent en place. La franchise requiert des investissements colossaux surtout avec la dévaluation du Dinar tunisien qui peut mettre les investisseurs dans une configuration très difficile concernant les droits d’exclusivité.

Elle a affirmé que ceux qui veulent tenter l’expérience, doivent absolument s’encadrer de professionnels pour le contrat de franchise, car c’est le point central et décisif. « Il n y a pas d’innovation dans la franchise » a précisé Rym Ayari, «  c’est un process que vous suivez à la lettre et où vous n’avez aucune marge de manœuvre » a-t-elle ajouté.

 

L’autre point important relevé par la consultante concerne « la passion » pour la marque que l’on souhaite « représenter ». Cela dit, elle a bien précisé qu’il ne faut pas être passionné au point de ne plus savoir distinguer si elle sera rentable pourla Tunisieou pas. Pour ce faire, il faut mettre en place un vrai Business Plan. Il faut faire une étude de marché sérieuse, se demander si le produit est vendable et à quel prix. Il faut savoir si le marché est assez mûr pour la marque ou pas. Pour illustrer ses propos, Nadia Ayarai a exposé l’exemple de Haagen Daaz qui est venu il y a une dizaine d’années pour étudier la possibilité de franchisses en Tunisie. Après des négociations interminables il s’est avéré que le marché n’était pas prêt, la boule de glace revenait à 6dt, à l’époque c’était inenvisageable et donc personne n’en voulait. Aujourd’hui les choses ont changé, Jhonny Rockets peut vendre des burgers à 15 dt car aujourd’hui le marché a évolué, il a donc attendu que le marché soit prêt pour s’introduire en Tunisie et cela va ouvrir les portes du marché à d’autres entreprises après lui. Il existe toutefois d’autres problèmes lié surtout au « sourcing ».

 

Certaines marques, a précisé la consultante, ne viennent pas en Tunisie car les standards de qualité des produits ne sont pas à la hauteur de leurs exigences, que ceux-ci sont tout simplement indisponibles, cela ajouté au fait qu’il existe bien des freins pour l’importation et notamment par rapport à la douane. Fait confirmé par Abderrahmen Belkacem, directeur général d’Hippopotamus Tunisie, enseigne de restauration internationale spécialisée dans la viande grillée. « Cela nous a pris plus d’un an, après quoi nous avons eu des tas de problèmes par rapport à la disponibilité de certains produits qui nous sont indispensables » a indiqué le franchisé. « La législation est obsolète et la lenteur de l’administration est très handicapante. Nous avons eu un agrément pour 5 ans alors que notre contrat est un contrat de 10 ans, et que notre investissement est très lourd avec le droit d’entrée et les royalties » a-t-il ajouté.

 

Abderrahmen Belkacem  a appelé à instaurer un cadre juridique et administratif exceptionnel et dédié à la franchise car celle-ci implique un respect de contraintes contractuelles très strictes. « Nous avons été obligés de substituer certains produits, aujourd’hui on ne les trouve carrément plus et après 6 mois d’activité nous avons été obligé d’éliminer 4 plats de la carte » a-t-il souligné, rappelant que si « nous sommes plus chers que la concurrence c’est que nous avons des charges bien plus supérieures et nous n’avons pas les mains libres, nous suivons les guide -lines d’un système et nous n’avons presque pas de marge de manœuvre ».

 

Le DG d’Hippopotamus a précisé que les franchisés sont obligés de respecter à la lettre les points des conditions d’exploitation indiqués dans le contrat qu’ il y a même des clients mystères qui les visitent et que tout non-respect du contrat implique des sanctions pouvant aller à son annulation. Point important appuyé par la consultante Rym Ayari qui a noté qu’il faut bien savoir que les franchiseurs calculent l’intérêt pour un marché sur sa rentabilité, ce n’est pas une question d’affinités ou d’amitié, c’est juste un simple calcul et souventla Tunisies’avère être un choix pas très rentable pour les enseignes internationales, et ce de par la taille du marché et du pouvoir d’achat.

 

La franchise est souvent le rêve de nombreux jeunes entrepreneurs qui, attirés par la notoriété et le poids de certaines marques internationales, y voient un investissement forcément rentable et un projet qui leur garantirait une prospérité certaine. Les choses dans la pratique sont souvent loin d’être idéales. Il s’agit avant tout d’un contrat contraignant et coûteux, qui doit être étudié jusque dans les moindres détails et qui malheureusement reste à la portée d’une certaine catégorie capable d’en assumer les frais souvent faramineux.

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