La grogne des grèves
21/09/2015
Si le nombre de grèves a techniquement baissé, le syndicat reste plus intransigeant que jamais et mène les négociations avec le gouvernement d’une main de fer. Enseignement, santé, transport et autres secteurs sensibles, multiplient les grèves et les grabuges à cause de motifs variés touchant aussi bien les augmentations salariales, les promotions, l’amélioration des conditions des travailleurs mais aussi les nominations contestées par le syndicat. A chaque fois, Tunisiens et travailleurs deviennent les otages de la grogne syndicaliste. En face, le gouvernement, impuissant, assiste à un jeu qu’il ne maîtrise pas encore.
Alors qu’il a pris son poste par la « force publique », le nouveau directeur de l’hôpital Habib Bourguiba de Sfax a fini par être dégagé par le personnel médical attisé par un syndicat qui s’opposait à sa nomination. Le syndicat a-t-il, une fois encore, gagné ? Rien n’est moins sûr pour l’instant car ce recul n’est qu’un repli stratégique pour Chokri Tounsi, ce général de l’Armée, dont la nomination reste « irrévocable » pour le ministre de la Santé Saïd Aïdi. Un militaire à la tête d’une institution sanitaire au bord du délabrement semblait être une idée de génie pour le ministère qui souhaitait remettre de l’ordre au sein de l’hôpital Habib Bourguiba de Sfax. Cet hôpital est le plus grand établissement hospitalo-universitaire de la région du sud et accueille des malades de plusieurs villes du pays dont Sfax, Sidi Bouzid, Gabès, etc.
Mais les syndicalistes ne l’entendent pas de cette oreille et si, officiellement et publiquement, les slogans brandis affichent « une volonté de garder cette institution 100% républicaine et à l’abri des tiraillements », en réalité, le syndicat reste attaché à sa mainmise sur cette institution qui enregistre des grèves à profusion. L’ancien directeur, récemment évincé, était en effet réputé pour sa proximité avec les syndicalistes ce qui leur offrait une marge de manœuvre non négligeable pour passer leurs « lois ».
Mais le secteur de la santé n’est pas le seul à être en proie à la « dictature des syndicats ». Cette expression a émergé peu après le 14-Janvier et revêt tout son sens aujourd’hui à la lumière des bras de fer incessants qui se tiennent quotidiennement entre syndicalistes et pouvoir. L’exemple le plus édifiant, actuellement, est sans doute celui de la crise de l’enseignement. En effet, des tiraillements qui ont duré plusieurs mois ont conduit à un boycott par les enseignants des derniers examens de l’année 2014/2015. Le ministère, pour désamorcer la crise, s’est vu obligé de décréter un passage de classe automatique pour l’ensemble des élèves afin d’éviter qu’ils se retrouvent, encore, pris en otage par leurs enseignants.
Aujourd’hui encore, deux jours seulement après une rentrée des classes placée sous haute tension, les enseignants récidivent et annoncent une nouvelle grève de deux jours. Les élèves du primaire et de l’enseignement de base n’auront donc rejoint leurs salles de cours que durant 48 heures.
Les négociations entre ministère et syndicats de tutelle sont dans l’impasse aujourd’hui. Le syndicat dénonce la non-prise au sérieux de ses doléances et le ministère pointe du doigt des revendications jugées excessives. Le 17 septembre, premier jour de grève des enseignants, Néji Jelloul, ministre de l’Education nationale, a déclaré dans le cadre de l’émission J8 de Hamza Belloumi sur El Hiwar Ettounsi que « le point de discorde [entre le syndicat et le gouvernement] réside dans une réclamation du syndicat qui concerne deux autres promotions exceptionnelles relatives à 2019-2025 ». Il explique par ailleurs que cette « tempête dans un verre d’eau », selon ses propres termes, est due au fait que « les instituteurs du primaire ont eu droit à trois promotions alors que les autres enseignants n’en ont pas bénéficié ». De son côté, le secrétaire général de l’enseignement de base Mastouri Gammoudi, a déclaré, la veille de la grève, à Mosaïque Fm, que Habib Essid a refusé les propositions du syndicat de l’enseignement après que celles-ci aient été « approuvées par les représentants des ministères de l’Enseignement et des Affaires sociales ».
Depuis 2011, les grèves sont devenues monnaie courante en Tunisie et les syndicats, principalement et surtout ceux affiliés à l’UGTT, mènent la danse, même si le nombre des grèves a enregistré une baisse cette année. Selon les statistiques publiées par le ministère des Affaires sociales, concernant juillet 2015, le nombre de grèves a significativement baissé comparé à ceux de la même période de 2014. L’étude, dont les résultats ont été relayés le 15 août 2015 par la TAP, révèle que le nombre de grèves a baissé de 86% en juillet 2015 par rapport au mois de juin de la même année et de 67% en comparaison avec le mois de juillet 2014. L’état d’urgence décrété le 4 juillet par la présidence n’y est sans doute pas pour rien, mais le bras de fer du syndicat avec le gouvernement, continue de bloquer certains secteurs et constitue une des raisons principales de la fuite de nombreux investisseurs.
Nouveau jour, nouvelle grève. Aujourd’hui, lundi 21 septembre 2015, on assiste à la grève des transporteurs routiers de marchandises bloquant le secteur du transport des carburants ainsi que celui du transport des marchandises dans les ports maritimes. Un nouveau mouvement de protestation qui a généré, hier, un important mouvement de panique des automobilistes, constaté à travers tout le pays. De longues files de voitures étaient amassées devant les stations essence, et les conducteurs, en colère, se sont retrouvés, une fois encore, impuissants devant cette annonce soudaine.
Protestant contre « la dictature des patrons », la dictature des syndicats ne cesse de se matérialiser. A de nombreuses reprises et dans de nombreux secteurs, cette logique de la confrontation est devenue aujourd’hui la règle dans toute négociation entre syndicalistes et responsables gouvernementaux. Au-delà de cette volonté affichée de défendre les travailleurs, le syndicat, pour ne pas dire exclusivement l’UGTT, essaye à tout prix d’imposer sa loi et de tester son pouvoir en privilégiant l’affrontement, devenu aujourd’hui la règle. Mais qu’est-ce qui pousse le gouvernement à se laisser faire ?
Pour l’instant, Habib Essid se retrouve les miens liées. Face à une gronde sociale et syndicale de plus en plus attisée, les responsables gouvernementaux sont obligés d’admettre que certaines situations méritent tout de même que l’on s’y intéresse de près et que certaines revendications, malgré les pressions et le grabuge, restent relativement légitimes.
Dans ce climat délétère, une trêve sociale pourrait bien bientôt voir le jour. Le chef du gouvernement, Habib Essid, a annoncé à Shems Fm le 13 septembre, que des négociations sont en cours actuellement avec la centrale syndicale et celle patronale pour arriver à un consensus satisfaisant les différentes parties. L’on s’attend, selon Habib Essid, à la signature « très prochaine » d’un accord en faveur d’une paix sociale qui prévaudra jusqu’en 2017 et qui fera baisser d’un cran toutes ces tensions, parfois inutiles.
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