L’Arabie Saoudite et l’Iran s’échauffent et la Tunisie met les pieds dans le plat !
04/01/2016
L’exécution de Nimr Baqer al-Nimr, un religieux chiite, en Arabie Saoudite a exacerbé, encore une fois, le différend entre sunnites et chiites à propos de la suprématie sur la zone du Moyen-Orient. Pour ne rien arranger, l’ambassade saoudienne à Téhéran a été saccagée et brûlée, ce qui a eu pour conséquence la rupture des relations diplomatiques entre les deux pays. Tout cela est bien loin des problèmes de notre pays, jusqu’à ce que notre ministère des Affaires étrangères mette son grain de sel.
C’est dans un communiqué dominical daté du 3 janvier 2015 que le ministère tunisien des Affaires étrangères a exprimé sa position quant au début de conflit entre le royaume d’Arabie Saoudite et la République islamique d’Iran. La diplomatie tunisienne « lance un appel à la nécessité de garantir la protection des missions diplomatiques et consulaires, tout en préservant leur souveraineté contre ces attaques ». Ces agressions constituent une violation flagrante des conventions de Vienne, relatives aux relations diplomatiques.
Clairement, la diplomatie tunisienne se range du côté saoudien dans ce début de conflit entre deux pays qui luttent depuis des décennies pour garantir leur hégémonie sur la zone. La nouveauté est que l’Arabie Saoudite et l’Iran utilisaient, jusqu’à présent, différents pions pour cette partie d’échecs qui les oppose. Aujourd’hui, la confrontation est directe, déclarée et assumée. L’exécution du religieux chiite, dans une cohorte de 47 autres condamnés, a déclenché la colère des Iraniens qui ont vandalisé l’ambassade du royaume à Téhéran et son consulat dans la ville de Machad.
Beaucoup se sont étonnés de cette réaction de la part du ministère tunisien des Affaires étrangères. Ainsi, Samir Taïeb, secrétaire général du parti Al Massar, a qualifié la réaction tunisienne d’ « irresponsable » et « irréfléchie » dans une déclaration à Hakaek Online. Il a ajouté que c’est une conséquence du fait que la Tunisie soit enrôlée dans une alliance contre le terrorisme aux côtés du royaume wahhabite. Il a également évoqué le fait que la diplomatie tunisienne, par cette position, a abandonné sa position de neutralité qui était son crédo depuis l’indépendance.
D’anciens diplomates tunisiens, dont Abdallah Labidi qui s’est exprimé aujourd’hui sur Shems FM, partagent cette position. Selon lui, la réaction tunisienne est « précipitée » en ajoutant que « nous avons été engagés sur une voie qui ne sert pas les intérêts de la Tunisie ». L’ancien diplomate va jusqu’à dire que ce type de position est susceptible de faire perdre à la diplomatie tunisienne toute crédibilité.
D’un autre côté, la lutte d’influence entre chiites et sunnites trouve un certain écho en Tunisie grâce à certains relais. En effet, certaines personnes évoquent l’existence d’un « danger chiite » en Tunisie depuis un certain temps. Ces personnes trouvent dans la réaction iranienne une raison de plus pour justifier leurs postulats.
Le plus médiatisé de ces relais est sans doute Hechmi Hamdi, chef du courant Al Mahabba. Il s’était violemment insurgé contre un accord touristique conclu avec l’Iran qui avait pour objectif la venue de 10.000 touristes par an. Un autre de ces relais est le chef du think tank CSID, Radwan Masmoudi. Dans un post Facebook daté du 3 janvier 2016, il déclarait que l’Iran devait arrêter de s’ingérer dans les affaires intérieures des pays environnants. L’Iran doit aussi arrêter de tenter de répandre le chiisme et de le promouvoir dans les pays arabes et musulmans sinon la zone connaitrait des guerres confessionnelles. D’autres, dans un registre plus bas, évoquent la possibilité de voir des processions chiites dans les rues de la capitale, à Sousse, à Sfax, Gabès et autres.
Le cheikh Béchir Ben Hassen a aussi – évidemment- un avis sur la question. Dans un texte partagé sur sa page Facebook le 3 janvier 2016, le cheikh justifie l’exécution de Nimr Baqer al-Nimr en disant, en gros, que cela reste une affaire interne saoudienne. Il explique que le religieux chiite est impliqué dans des affaires terroristes en Arabie Saoudite et particulièrement à Riyad. Une version qui n’est corroborée par aucun fait tangible.
Il donne ensuite un exemple assez insolite en guise de comparaison. Il dit que les « pseudos cultivés » saoudiens ne se seraient jamais inquiété de l’exécution du terroriste de Mohamed V s’il avait été arrêté par les autorités tunisiennes ! Par la suite, le texte part dans les « arguments » usuels utilisés contre les chiites dans le sens où ils insultent les compagnons du prophète et ses femmes etc.
En exposant un tel argumentaire, Béchir Ben Hassen oublie qu’il avait fait des pieds et des mains lors de la condamnation à mort en Egypte des chefs des Frères musulmans. Si l’on suit la même logique, la condamnation à mort de ces personnes est une affaire intérieure égyptienne dans laquelle personne ne devrait s’ingérer. D’ailleurs, certains des commentateurs de sa page ne s’y trompent pas et l’accusent même d’être de connivence avec le royaume wahhabite.
L’Iran a promis à l’Arabie Saoudite de « payer le prix fort » pour cette exécution. Evidemment, il n’est pas ici question de s’indigner contre la pratique de la peine de mort. Les deux pays, aussi bien l’Arabie Saoudite que l’Iran, trônent chaque année en haut du podium du nombre de personnes exécutées avec les USA et la Chine. Il s’agit d’une lutte d’influence qui dure depuis des décennies et qui a trouvé un élément déclencheur qui ferait que les deux puissances du moyen-orient s’affronteraient directement.
Dans tout cela, la diplomatie tunisienne, à tort ou à raison, a jugé opportun de se ranger immédiatement du côté des Saoudiens. Le montant des aides et des investissements promis lors de la dernière visite présidentielle dans le royaume ne doit pas être étranger à cette décision. Toutefois, le principal reproche fait par les initiés à cette décision est sa célérité; dans le sens où cette position est affichée alors que l’on ne sait rien encore des développements de cet affrontement d’où son aspect « précipité ». Sachant que la politique étrangère tunisienne est cogérée par le ministère des Affaires étrangères et par la présidence de la République, peut-on voir dans ce communiqué la main de Carthage ?
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