L’avis des Tunisiens sur les 100 jours du gouvernement Essid
19/05/2015
Il y a quelques jours, le gouvernement Essid a franchi la barre symbolique des 100 jours depuis sa prise de fonctions. Même si l’ampleur des chantiers en Tunisie met à mal une évaluation au bout de si peu de temps, il est néanmoins possible d’établir un premier bilan. Globalement, le bilan du gouvernement Essid est mitigé.
Après avoir été formé dans la douleur avec une coalition de quatre partis, le gouvernement Essid s’est retrouvé devant plusieurs challenges. Premièrement, le défi sécuritaire. En effet, la lutte contre le terrorisme est non seulement une nécessité mais aussi l’une de principales promesses de campagne du parti majoritaire Nidaa Tounes. Ainsi, plusieurs mesures ont été prises dans ce sens principalement sous la houlette du ministre de l’Intérieur, Nejem Gharsalli. Parmi ces mesures, plusieurs nominations à des directions clés du ministère. Pendant ces cent premiers jours, le principal succès de ce gouvernement est la mise hors d’état de nuire de plusieurs terroristes dont l’émir de la brigade Okba Ibn Nafaâ, Lokman Abou Sakhr.
Toutefois, il ne faut pas oublier l’attentat du Bardo qui a eu lieu en mars dernier et dans lequel une vingtaine de touristes ont trouvé la mort. Au niveau sécuritaire, c’était un coup dur pour le gouvernement Essid.
Deuxièmement, le défi économique s’est posé au gouvernement Essid depuis sa prise de fonctions. Le bilan, dans ce domaine, est beaucoup moins brillant que ne pourrait l’être celui du sécuritaire. En effet, l’économie tunisienne a toujours autant de mal à redémarrer et les chiffres restent dans le rouge. Par ailleurs, la situation des entreprises publiques reste toujours aussi critique. Un des exemples pouvant illustrer la situation de ces entreprises est celui de Tunisair. Le transporteur national traite toujours une dette conséquente alors que ses revenus sont en baisse sans oublier la valeur de l’action Tunisair qui atteint des minimums historiques.
Tout cela, se conjugue avec une situation sociale explosive. Le nombre de grèves augmente tout en revêtant un caractère sauvage. L’une des principales crises auxquelles le gouvernement a été confronté a été la grève des enseignants du secondaire. Le ministre de l’Education, Néji Jalloul, a tenté par plusieurs moyens de désamorcer cette crise mais n’y est parvenu qu’en cédant aux exigences financières des enseignants, soutenus en cela par l’UGTT. Cette grève a été suivie par plusieurs autres comme celle des surveillants, celles des employés de Tunisie Telecom sans oublier l’arrêt presque total des activités d’extraction du phosphate.
Ce diagnostic du rendement gouvernemental se trouve, à peu prés, confirmé dans l’opinion publique. L’institut Emrhod Consulting a réalisé un sondage concernant la perception du rendement gouvernemental durant ses cent premiers jours d’exercice. Ce sondage a été réalisé entre le 12 et le 15 mai 2015 sur un échantillon de 1060 personnes réparties sur les 24 gouvernorats tunisiens.
Concernant le rendement gouvernemental, les sondés confirment que le bilan est globalement mitigé puisqu’ils sont 46,6% à estimer qu’il est satisfaisant contre 40,3% qui pensent le contraire. Toutefois, certaines tendances sont visibles dans l’évaluation totale de l’action gouvernementale. En effet, c’est l’insatisfaction qui gagne du terrain par rapport à la satisfaction vis-à-vis de ce gouvernement. On peut le voir à travers la côte de popularité du chef du gouvernement, Habib Essid, qui est passée de 65% à sa prise de fonction à 46,1% en mai 2015 ce qui représente une réelle dégringolade en si peu de temps.
L’avis des Tunisiens sur l’efficacité de leur exécutif n’épargne pas la présidence de la République même si la baisse n’est pas aussi spectaculaire que celle du chef du gouvernement. Ainsi, la popularité du président de la République, Béji Caïd Essebsi, passe de 51,4% au tout début de son mandat à 45,2%.
Lorsqu’il s’agit de la perception de l’efficacité des ministres du gouvernement Essid, la tendance insatisfaite s’exprime plus clairement. Pas moins de 36% des sondés pensent qu’aucun des ministres du gouvernement n’a de rendement positif et 28% préfèrent ne pas se prononcer. Pour le reste, c’est le ministre de l’Intérieur, Nejem Gharsalli, qui arrive en tête avec 14% des avis exprimés suivi de son collègue de la Défense, Farhat Horchani, avec 7,3%. Ces chiffres confirment ainsi que l’opinion publique voit d’un bon œil les progrès et les succès réalisés dans la lutte contre le terrorisme.
Par la suite, on trouve le ministre de la Santé, Said Aïdi (5%) et celui de la coopération internationale, Yassine Brahim (3,6%). On remarquera que la côte de popularité de Néji Jalloul, ministre de l’Education, est de 2,2% malgré le fait qu’il ait dû gérer la grève des enseignants. En queue de peloton, on trouve le ministre de l’Economie et des Finances, Slim Chaker, avec seulement 1,1%. Ce chiffre exprime de manière évidente le souci des Tunisiens du devenir de leur économie. Il en est un autre qui est encore plus explicite, celui de savoir si les Tunisiens pensent que la situation économique va s’améliorer ou se dégrader. En effet, l’incertitude reste de mise puisque 41,6% pensent qu’elle va s’améliorer et 41,6% pensent qu’elle va se dégrader, une égalité parfaite. Toutefois, c’est la tendance qui est intéressante dans la lecture de ses chiffres. A la même question, posée en décembre 2014, 61,9% des sondés répondaient que la situation économique allait s’améliorer contre seulement 17,23 qui pensaient qu’elle allait se dégrader. C’est dire l’ampleur de la désillusion depuis que le gouvernement Essid a pris ses fonctions.
La situation héritée par le gouvernement Essid après près de quatre de gouvernements « provisoires » et tous les dégâts qui s’en sont suivis est loin d’être facile. Le seuil d’espérance des Tunisiens est également très élevé vu que, pour la première fois depuis la révolution, le gouvernement entame une mandature de cinq ans avec une légitimité électorale incontestée.
Plusieurs experts estiment que le gouvernement Essid ne va pas assez loin dans les réformes et dans les mesures à prendre, qu’il reste encore frileux même s’il a obtenu un score écrasant lors du vote de confiance à l’ARP. Ils estiment également que le gouvernement Essid aurait dû profiter de la période de grâce de 100 jours pour faire le maximum, chose qui n’a pas été faite. Par ailleurs, l’action gouvernementale reste tributaire de l’action parlementaire qui accuse un certain retard. Pour la suite de sa mission, le gouvernement Essid devra prendre le taureau par les cornes et entamer rapidement des réformes de fond car la colère gronde, petit à petit.
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