Le coup de grâce de Néji Jalloul

13/06/2015

« Néji Jalloul devrait être limogé de suite ». La décision cavalière prise par le ministre de l’Education face aux grèves à répétition, qui se sont éternisées et qui ont menacé l’année scolaire des élèves du primaire, a été très critiquée. D’abord, par les enseignants grévistes eux-mêmes qui ont vu s’envoler leurs revendications fatigantes et dont on ne voyait pas le bout. Ensuite, par les syndicalistes qui l’ont perçue comme un affront et un véritable « appel à la guerre ».

 

Mais cette décision a bien évidemment ses partisans. Avec cette mesure, pour le moins ferme, Néji Jalloul est soudainement devenu l’un des ministres les plus populaires du gouvernement Essid : pour les défenseurs du sacro-saint « prestige de l’Etat », les proches du gouvernement ou aussi les parents exaspérés de voir leurs enfants retenus en otage ou même les simples citoyens las de voir cet éternel cirque durer alors que chacun sait que les caisses de l’Etat sont vides.

 

Cette décision a certes cloué le bec à de nombreux syndicalistes racketteurs qui se sont vus investis, petit à petit, de tous les pouvoirs, mais on évitera de crier au génie tout de suite. En réalité, cette décision a été politique avant tout. Le gouvernement actuel, accusé d’être faible par des électeurs qui s’attendaient à un solide tour de vis, n’a pas su faire face à la recrudescence des grèves anarchiques et sauvages.

 

En poste depuis à peine 5 mois, le baptême du feu du ministre de l’Education a été des plus brûlants. Depuis sa nomination à la tête de ce ministère délicat, Néji Jalloul a dû faire face à une fronde d’enseignants en colère, attisée par un syndicat des plus intransigeants. Appartenant à la puissante centrale UGTT, le syndicat de l’enseignement est connu pour ses méthodes agressives et brutales. Pas question de transiger sur ses revendications. Arrêter les cours pendant des jours entiers, reporter des examens sans fixer de date butoir, obliger des enseignants non convaincus par la grève à abandonner leurs postes, ce syndicat est un négociateur en puissance. Et Néji Jalloul n’a pas toujours su faire preuve de la fermeté qu’on lui reconnait aujourd’hui. Chose qui a poussé le syndicat à gagner du terrain. En réalité, cette grève dure depuis le début de l’année, à savoir février 2015 et a déjà menacé les examens du deuxième trimestre. Il s’agit donc d’une solution d’ultime recours.

 

Un constat s’est tout de suite posé. Si on n’arrive pas à clouer le bec à ces anarchistes d’enseignants qu’aucun accord n’a su satisfaire, on laissera la porte ouverte à d’autres grévistes en colère qui se verront investis de tous les pouvoirs.  Mais la solution miracle de Néji Jalloul, applaudi aujourd’hui pour son courage, n’est qu’un bouche-trou. C’est une solution à très court terme qui n’aura aucun effet si les enseignants menacent, et ils le font, de retarder la rentrée. Cette solution pourra-t-elle être extrapolée à d’autres ministères ? Faudra-t-il guérir tous les malades, pour faire taire la grève du personnel soignant ? Brûler tout le phosphate pour clouer le bec aux grévistes de la CPG ? Engager des chauffeurs pour toute la population afin de saboter la grève des transports ? Les internautes ironisent sur la toile, mais en réalité le problème est tout autre.

 

En réalité, c’est tout l’enseignement public qui devra être réformé. Eradiquer la gangrène des cours particuliers, qui tuent l’enseignement, dans les classes et créent des disparités entre les professeurs des différentes matières, s’avère être une urgence. Mais c’est aussi tout le statut de fonctionnaire public qu’il faudra repenser. Les recrutements à la pelle, les salaires pas toujours mérités, etc. alourdissent les caisses de l’Etat sans qu’aucune contrepartie ne soit donnée en conséquence. Les fonctionnaires du public sont recrutés via des concours purement administratifs, rien ne les qualifie donc aux postes qu’ils occupent aujourd’hui et dont, nombreux, n’honorent pas les simples rudiments.

 

Mais inutile de clouer tout de suite au pilori l’ensemble des enseignants. Il serait honnête de reconnaître que l’enseignement est une des professions les plus en danger aujourd’hui, menacée par un capitalisme sauvage et une crise sans précédent. Il ne sert à rien de les blâmer pour être descendus dans la rue réclamer des salaires plus décents et des avantages qui ont été octroyés à d’autres. Mais toute démocratie digne de ce nom implique un respect de ses règles des deux côtés. Si la décision du gouvernement est, force est de le reconnaître, cavalière et à la limite de l’illégalité, le comportement des grévistes n’est pas moins critiquable. Le syndicalisme doit lui aussi se plier aux normes démocratiques auxquelles il appelle et desquelles il tire son pouvoir. La solution du ministère était, même si critiquable, une bonne solution en temps de crise pour arrêter l’hémorragie de l’enseignement aujourd’hui. Aux grands maux, les grands remèdes.

 

Il n’est pas aisé d’être un ministre de nos jours. Cette phrase revêt tout son sens compte tenu de la situation dans laquelle se trouve Néji Jalloul aujourd’hui. Cette décision ne permettra pas, en effet, de tirer le tapis sous les pieds des enseignants en colère. Elle semble avoir, au contraire, davantage attisé leur rogne. On menace aujourd’hui de saboter la prochaine rentrée des classes ou même, dans le cadre de « la solidarité des syndicats de l’enseignement »,compromettre la correction des copies du baccalauréat, ou les résultats des examens du concours de la 6ème année de base.  Les enseignants, mais aussi l’ensemble des grévistes, voient cette décision comme un affront et ne comptent pas s’arrêter là. Une solution à long terme s’impose donc de toute urgence, un véritable choix de Sophie pour un ministre qui a à peine mis les pieds dans ce ministère pour le moins chaotique…

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