Le droit à la différence face à l’hypocrisie des politiques
27/09/2015
Un jeune tunisien a été condamné à un an de prison pour homosexualité. Dans d’autres circonstances, cela aurait pu passer pour un simple fait divers. En réalité, c’est un événement suffisamment important et grave pour qu’on s’y attarde.
D’abord, il y a les péripéties de son arrestation et de sa condamnation. En effet, il ne s’agit pas d’un citoyen confondu dans une situation de flagrant délit. Au contraire, c’est un jeune interpellé dans le cadre d’une simple opération de vérification d’identité routinière. Ce qui l’est moins par contre, c’est que les agents de police se sont permis de lui confisquer son téléphone et de consulter de force ses correspondances privées mettant à jour sa relation « amoureuse » avec un autre individu du même sexe. La police a-t-elle le droit de violer aussi légèrement l’intimité des gens en pleine rue et sans mobile apparent ? On attendra l’avis des syndicats de police et des organisations de défense des droits humains, aussi nombreux qu’inefficaces. C’est à se demander quel est le véritable tort de ce jeune homme au moment de son arrestation. Etait-il victime de sa différence ou simplement victime de la malchance de se trouver face à un policier irrespectueux des procédures et intolérant, voulant imposer un modèle de société puritain qui n’existe que dans sa tête et dans la tête de ses semblables, peu nombreux jusque-là, mais sait-on jamais.
Ce comportement subi par ce jeune homme, comme les multiples dérapages de la police envers les femmes au cours des dernières années ne sont pas prêts de s’arrêter tant que nous n’aurons pas posé franchement la question de la capacité de milliers de policiers recrutés au temps de la troïka sur la base de leur engagement idéologique, à être des policiers républicains qui se limitent à faire respecter la loi sans chercher à imposer un modèle de société dicté par leurs convictions politiques ou religieuses.
Il aurait fallu le concours d’un médecin légiste peu scrupuleux de sa propre déontologie pour resserrer l’étau autour du cou de jeune, coupable de sa différence. Comment un médecin peut-il accepter d’agir de la sorte, pratiquer cette expertise de la honte sans le consentement de son patient et faire des examens qui n’ont aucun intérêt médical et qui ne constituent nullement aucune preuve de quoi que ce soit ? Heureusement que plusieurs médecins se sont insurgés contre le comportement de leur collègue. On attendra maintenant la réaction du Conseil de l’ordre des médecins et de son comité d’éthique pour confirmer l’idée positive que portent les tunisiens sur leurs médecins et sur le corps médical en général.
Et puis, il y a cette juge, pour boucler la boucle et rendre le calvaire de ce jeune homme plus dramatique, qui, par son jugement, confirme tout le mal que nous pensons de l’état de notre magistrature et de notre justice dans son ensemble. Une justice archaïque, sclérosée, mécanique, à plusieurs vitesses et conservatrice au point de devenir la garante d’un ordre établi, pas toujours conforme à la réalité, forcément plus complexe que les textes désuets qui la régissent. Il est évident que les conventions internationales et la nouvelle Constitution n’ont pas encore franchi le perron de nos tribunaux. En envoyant ce jeune homme en prison pour un an, Mme le juge croit-elle un seul instant qu’elle a rendu justice ? Qu’elle a garanti l’intégrité physique du condamné en prison ? L’institution militaire, soucieuse de son bon fonctionnement et regardant la réalité en face, a décidé depuis longtemps de renvoyer les homosexuels chez eux et de les dispenser du service national. Un exemple à méditer.
Ensuite, il y a ce climat d’hypocrisie générale qui a accompagné cette affaire. Disons le tout de suite, il ne s’agit pas de défendre l’homosexualité mais de défendre le droit à la différence, toutes les différences, ainsi que de défendre le droit de chacun de choisir sa manière d’être, son mode de vie et de disposer librement de son corps. Il est navrant de constater que jusqu’à présent, seuls les jeunes des partis Massar et Qotb ont réagi. Leurs aînés de la classe politique ont choisi quant à eux la politique de l’autruche, de ne rien entendre, de faire semblant de croire que ce n’est qu’un fait divers sans conséquences.
En vérité, même si elle est posée en termes choquants pour une large frange de nos concitoyens, cette affaire pose cruellement les questions de la tolérance, du droit à la différence et du respect des libertés individuelles dans notre pays conformément à notre nouvelle Constitution et à nos engagements internationaux. Occulter ces questions essentielles, c’est faire le lit de l’intégrisme et d’une société faussement puritaine que les extrémistes de chez nous comme d’ailleurs veulent nous imposer. Malheureusement, habituée aux calculs politiciens, notre classe politique est habituée à l’hypocrisie à tel point qu’un homosexuel notoire ait pu accéder au poste de chef du gouvernement.
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