Marches contre la réconciliation : les enseignements à tirer
13/09/2015
Aura lieu, n’aura pas lieu ? Sera-t-elle autorisée ou interdite ? La manifestation de protestation et de colère contre le projet de loi sur la réconciliation économique et financière a bien eu lieu, finalement, et bien à l’Avenue Habib Bourguiba. Aucun dépassement n’a eu lieu de la part des forces sécuritaires qui ont réussi à canaliser les foules sans incident ni confrontation, et ce de l’avis des divers participants et témoins sur les lieux. Retour sur une manifestation précédée par un grand bruit politique et médiatique…
Cela a commencé hier, samedi vers 14 heures, quand près d’un millier de personnes ont traversé l’Avenue emblématique de Tunis en brandissant des pancartes anti-projet de réconciliation et scandant des slogans tels que « à bas le parti Destour ! », « Ennahdha et Nidaa traitres de la patrie », « à bas les réactionnaires: Destouriens et islamistes ! » et « travail, liberté et dignité ».
Cette première manifestation, organisée, conjointement, par le Front populaire et Al Massar, était conduite par plusieurs personnalités dont on citera, notamment, Hamma Hammami, Zied Lakhdhar, Mongi Rahoui, Selma Baccar et Ahmed Seddik présentes, au premier rang. Il y avait également Jawhar Ben Mbarek, Mokhtar Trifi, Riadh Ben Fadhel, le fils du martyr Brahmi et Amina Sboui, l’ex-militante Femen.
Ensuite, une deuxième manifestation, nettement moins importante que la première, a attiré quelques dizaines de personnes du côté du CPR avec, en tête, Adnène Manser, ancien directeur de campagne de Moncef Marzouki, et Imed Daïmi, secrétaire général du parti. Ils arboraient, collés sur leurs vêtements, des autocollants anti-projet de réconciliation et brandissaient des pancartes soutenant l’Instance Vérité et Dignité (IVD).
Jamais deux sans trois, une autre manifestation, groupant quelque 300 personnes, a succédé aux deux autres réunissant des militants des partis comme Echaâb, l’Alliance démocratique avec Mohamed Hamdi, Al Joumhouri avec Maya Jribi, Ettakatol avec Mustapha Ben Jaâfar et Attayar avec Mohamed Abbou.
Certaines remarques sont à souligner à propos de ces marches. Tout d’abord, chacune de ces manifestations s’est tenue dans le respect total des autres sans qu’il y ait le moindre accrochage entre elles. Ensuite, on signale l’absence de toute intervention des forces de sécurité, pourtant bien présentes sur les lieux, ce qui a été mis en exergue par les divers participants et observateurs sur le terrain. Enfin, on signalera le déplacement de certains députés de Nidaa Tounes à l’avenue Habib Bourguiba, « pour s’assurer du respect du droit de manifester », selon les termes mêmes de Mohsen Marzouk, secrétaire général de Nidaa Tounes, lors d’une déclaration rapportée par Mosaïque Fm. « Il s’agit d’un geste politique par lequel Nidaa Tounes témoigne de son attachement au respect des libertés constitutionnelles », a-t-il ajouté en substance tout en réitérant sa conviction quant à l’importance du projet de réconciliation qui va permettre de récupérer l’argent pillé ainsi que de développer les régions déshéritées, selon ses propos.
Mustapha Ben Jaâfar, Mohamed Hamdi et Mohamed Abbou se sont accordés dans des déclarations faites aux médias que le projet de loi de réconciliation ne peut que diviser les Tunisiens car il est contraire à l’esprit de la révolution et contradictoire avec les principes de la Constitution, d’où la nécessité pour eux, de retirer purement et simplement ledit projet.
Dans une première réaction officielle émanant du pouvoir, Mohamed Najem Gharsalli, ministre de l’Intérieur, a déclaré, suite à la manifestation contre la loi de réconciliation, que le bon déroulement de ce rassemblement est la preuve que la Tunisie a réussi. « Aucun parti n’est vainqueur mais c’est toute la Tunisie qui est victorieuse… la Tunisie démocratique », a ajouté M. Gharsalli. Par ailleurs, le ministre a rappelé que les menaces terroristes persistent mais que les sécuritaires et les différents appareils du ministère s’activent à y faire face et à démanteler les cellules. Les milieux sécuritaires mettent l’accent sur le fait que les trois marches, organisées par l’opposition, « se sont déroulées dans le calme et la sécurité sans qu’il n’y ait eu aucun incident d’aucune sorte ».
Quant au mouvement Ennahdha, il a appelé dans un communiqué rendu public, samedi 12 septembre 2015, à plus de consultations sur le projet de loi sur la réconciliation dans les domaines économique et financier et ce pour qu’il bénéficie de consensus. Ennahdha a, également, réitéré son soutien au gouvernement dirigé par Habib Essid. Par ailleurs, Rached Ghannouchi a abordé la question de ce projet de loi de réconciliation économique, proposé par le président de la République, Béji Caïd Essebsi, précisant que la réconciliation s’inscrit dans la vision d’Ennahdha et qu’il est urgent de débloquer la situation pour que les hommes d’affaires concernés puissent régulariser leur situation, estimant que l’argent ayant fait l’objet de délits financiers pourrait être récupéré et investi pour développer les régions et créer de l’emploi. M. Ghannouchi a ajouté que certains points du projet de réconciliation vont être discutés voire amendés, mais qu’Ennahdha demeure en accord avec le principe dudit projet.
En attendant de plus amples réactions, de part et d’autre, les observateurs sont unanimes à constater que l’événement n’en a pas été un, en fin de compte. Surtout de par le peu d’importance de la participation puisque les trois manifestations réunies, n’ont, à peine, réuni, entre 1500 et 2000 personnes. Ceci prouve, selon les mêmes analystes, que certains leaders parlent, souvent, au nom du peuple, alors qu’en réalité ce peuple ne les suit pas. En effet, à voir et croire le bruit créé, quotidiennement, à travers les plateaux télévisées et radiophoniques, on avait l’impression qu’il existe un vaste courant populaire contre le projet dit de réconciliation, mais la masse populaire n’a pas suivi.
Et ce sont, finalement, juste les mêmes têtes qu’on voyait et entendait sur les chaînes de TV et radio qui étaient là. Il s’agit, donc, d’un véritable test dont les leaders de l’opposition doivent tirer les enseignements nécessaires et qui montre aux yeux des responsables au pouvoir, mais aussi de l’opinion publique, le réel poids de ceux qui sont devenus maîtres dans l’art de crier.
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