Nidaa Tounes – Ennahdha : La guerre froide des imams
15/09/2015
Actuellement, la scène religieuse en Tunisie est frappée de plein fouet par une série de limogeages d’imams prédicateurs extrémistes. Ces mêmes imams, qui n’ont jamais été inquiétés du temps de la Troïka (l’un d’entre eux a même été ministre dans le gouvernement de Hamadi Jebali) sont aujourd’hui la cible d’un gouvernement composé de ceux qu’ils considèrent comme leurs ennemis de toujours et de ceux qui les ont, jusque-là, protégés. Cette configuration donne lieu à des réactions qui rappellent que cette alliance est loin d’être solide.
Littéralement, le terme « Imam » dérive de l’arabe du verbe Amma, ya-ûmmu, qui veut dire: diriger ou être devant, il est de ce fait le savant dans les rites de l’islam et joue un rôle de leader spirituel de la communauté dans laquelle il officie. En tant prédicateur et leader, l’imam a toujours servi de modèle aux fidèles musulmans. Il est, entre autre, celui vers lequel on se tourne lorsque la lecture, parfois laborieuse, du Coran, ne nous éclaire point. Les imams ont aujourd’hui une réelle et non négligeable influence sur les fidèles qu’ils encadrent à l’heure où les prêches, jadis éclairées, sont devenus de plus en plus extrémistes et politiques.
Au lendemain de l’attentat terroriste de Sousse, qui a fait plus de 30 morts, la chasse aux prédicateurs extrémistes a été engagée par le gouvernement et par le ministère de tutelle. Après le prédicateur extrémiste Houcine Laâbidi, limogé « de force » en mars 2015 alors que son éviction a été décidée en janvier, Béchir Ben Hassan, autre imam controversé, a été lui aussi limogé de la mosquée de M’saken en juillet 2015. Il faut se rappeler que le limogeage de Béchir Ben Hassan, a été décidé le 1er juin 2013 par son collègue, alors ministre des Affaires religieuses, Noureddine Khadmi et que Ben Hassan occupait depuis 2014 le poste d’imam illégalement. Le 7 août 2015, Noureddine Khademi apprend, à son tour, son limogeage. Décision, qu’il conteste violemment.
Aujourd’hui, 15 septembre 2015 c’est au tour de l’imam extrémiste Ridha Jaouadi d’être démis de ses fonctions à la mosquée Lakhmi de Sfax. Le motif de ce limogeage est d’avoir «une activité syndicale dans la mosquée sous un couvert religieux» et d’avoir prononcé «un prêche incitant à la haine contre le ministère».
Rappelons toutefois, qu’en juillet, pas moins de 80 députés de différentes sensibilités politiques ont signé une pétition appelant à son limogeage, estimant qu’il présente un danger pour la sécurité au vu de son discours extrémiste et semant la zizanie, à l’encontre de l’Etat et ses symboles, défiant ainsi ouvertement la loi.
Toutes ces décisions ont bien évidemment défrayé la chronique, attisant les mouvements de contestation et suscitant les élans de soutien de la part de fidèles mais aussi de personnalités politiques et du parti Ennahdha, qui conteste des décisions de limogeage « arbitraires »d’imams jugés « modérés ». Il est à noter que toutes ces décisions de limogeage ont en commun la fonction des concernés, certes, mais aussi une autre similitude plus étonnante, à savoir les motifs.
Il est de notoriété publique, que tous ces imams sont des extrémistes notoires. Noureddine Khademi est bien connu pour ses prêches vantant le djihad, ses réunions et son amitié avec le terroriste Abou Iyadh à qui il a permis de prêcher au sein de sa mosquée El Fath. Prêche qui a été retransmis en direct sur la chaîne Al Jazeera Mubasher. Abou Iyadh était activement recherché, et il a pu, ce jour-là, s’évader de la mosquée El Fath alors que les lieux étaient encerclés. Cette même mosquée El Fath était un repaire de terroristes ou d’apprentis terroristes, vantant le terroriste en chef Ben Laden. Une mosquée devant laquelle le trottoir était envahi de vendeurs « ambulants-immobiles » proposant, outre le niqab, tous types de livres vantant l’obscurantisme et l’extrémisme.
Béchir Ben Hassan, est un Cheikh fondamentaliste, connu pour ses prêches extrémistes. Il exerce aussi des activités politiques. Il a été très proche du mouvement Ennahdha et a fait une campagne hostile et mensongère contre Nidaa Tounes et Béji Caïd Essebsi, en avertissant les fidèles que s’ils votent pour eux, c’en sera fini de l’islam en Tunisie. Durant la présidentielle, il a été très actif dans la campagne de Moncef Marzouki et il lui est même arrivé de partager une tribune de campagne à Msaken pour appeler les citoyens à voter pour lui.
Ridha Jaouadi, pour sa part, livre des discours haineux, lors de ses prêches du vendredi, et publie régulièrement sur sa page Facebook des interventions vidéo poussant à la haine et la révolte, ainsi que des insultes en bonne et due forme à l’encontre de personnalités politiques et médiatiques. L’imam de la mosquée Sidi Lakhmi à Sfax, plus importante mosquée de la ville, a indiqué, dans son prêche du vendredi 7 décembre 2012, qu’il ne permettrait pas à l’ex-RCD de revenir sur la scène politique même si lui et ses partisans devaient en mourir.
Si les tendances extrémistes et violentes de ces imams sont avérées, leur limogeage a été décidé pour des raisons, souvent, toutes autres. Noureddine Khademi a été démis pour avoir permis à une chaîne étrangère, en l’occurrence Al Jazeera Mubasher, de filmer la prière d’Aïd El Fitr, sans aviser ni solliciter l’accord du département de tutelle. Béchir Ben Hassan, quant à lui, a été limogé pour absence de qualité. Le ministère des Affaires religieuses s’est basé, en cela, sur une ancienne décision de limogeage datant de 2013. Ridha Jaouadi, vient d’être limogé, pour sa part, pour avoir «une activité syndicale dans la mosquée sous un couvert religieux» et d’avoir prononcé «un prêche incitant à la haine contre le ministère».
Ces limogeages n’ont apparemment, et contre toute attente, rien à avoir avec le fait que ces imams prônent une idéologie extrémiste en ces temps de forte menace terroriste et livrent aux fidèles, parfois en manque de repères, un discours incitant à la haine, à la violence et même au meurtre.
Ceci nous amène à nous poser des questions quant aux raisons qui font que les motifs majeurs sont occultés dans les limogeages de ces imams, pour mettre en avant des mobiles, certes valables, mais qui demeurent mineurs. L’alliance Nidaa-Ennahdha, dont les idéologies sont diamétralement opposées pourrait expliquer cela. Cette alliance, qualifiée de trahison par les sympathisants des deux partis, est aussi perçue comme une union contre-nature et est, de ce fait, très fragile. Les tensions, entre les deux partis qui se veulent alliés mais qui ont une idéologie et une vision différentes, sont palpables au moindre pépin et cela même si les leaders respectifs œuvrent du mieux pour faire bonne figure et jouer les frères complices.
Par crainte de se déclarer ouvertement la guerre, alors qu’ils sont tous deux alliés au pouvoir, le gouvernement tente de contourner le noyau du problème et de baser ses décisions sur des faits incontestables, n’ayant rien à avoir avec l’idéologie ou la religion. Il va sans dire que ce gouvernement mixte aura beaucoup de fil à retordre car n’osant pas affronter le problème de face, il transforme ces prédicateurs de la mort en victimes du nouveau pouvoir qui s’en prend aux imams et à l’islam, leur permettant ainsi de continuer à bénéficier d’une certaine sympathie.
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