Nouveaux ministres de Habib Essid : ce qui leur est reproché

06/01/2016

Le nouveau gouvernement de Habib Essid est composé de ministres assez bleus. Par leur inexpérience pour les uns et par leur appartenance réelle ou idéologique au parti islamiste Ennahdha. Zoom sur ces nouveaux ministres qui sont loin de faire l’unanimité…

 

Aussitôt annoncé, aussitôt la polémique est déclenchée. Le nouveau gouvernement de Habib Essid déplait à un large pan d’observateurs, aussi bien parmi les sympathisants des partis au pouvoir que ceux de l’opposition. Et quand on se penche sérieusement sur les biographies de certains ministres, on craint fort que l’on ne va pas sortir de l’auberge de sitôt. On notera dans la foulée, la tentative manipulatrice des services de communication des différents départements ministériels. Les biographies publiées juste après l’annonce du remaniement du 6 janvier sont édulcorées. Un peu trop même au point que cela saute aux yeux. Nombreux étaient les commentateurs sur les réseaux sociaux et les sites de journaux à relever des parties occultées dans les biographies.

Côté chiffres, le nouveau gouvernement de Habib Essid est composé de 15 nouveaux ministres et de 16 anciens, y compris le chef du gouvernement lui-même. D’après le roi tunisien des statistiques, Hassen Zargouni, la Tunisie aura connu, ces cinq dernières années, quelque 187 ministres et secrétaires d’Etat contre 137 en 31 ans sous l’ancien président Habib Bourguiba.

Les âges oscillent entre 40 ans (Youssef Chahed) et 68 ans (Mahmoud Ben Romdhane) avec une moyenne de 53 ans. D’autre part, il ne reste plus que 3 femmes dans le gouvernement.

Ce rajeunissement relatif a du bon puisqu’il est temps de passer le relais et de donner leur chance aux jeunes. Mais, pour beaucoup, rajeunissement est synonyme d’inexpérience.

La Tunisie, en ce moment crucial de crises en tous genres, est-elle prête à donner des postes aussi sensibles à des ministres jeunes, certes, mais inexpérimentés et qu’on accuse (avant même de les voir à l’œuvre) de ne pas pouvoir faire face aux défis ?

 

Hédi Majdoub, ministre de l’Intérieur, figure dans cette catégorie de jeunes ministres. Âgé de 46 ans, énarque, il a fait toute sa carrière au ministère de l’Intérieur où il a gravi les échelons à commencer par un des services les plus délicats, celui de l’Inspection.

Sa désignation n’est pas du tout passée inaperçue et est des plus polémiques puisqu’il prend la place de Mohamed Nejem Gharsalli, un juge apprécié par un large pan des membres de Nidaa Tounes à qui il aurait rendu beaucoup de services.

Dans les coulisses, on accuse Hédi Majdoub d’être proche d’Ennahdha et on rappelle qu’il a été chef de cabinet de Ali Laârayedh en 2012. Année noire pour ces Tunisiens qui n’oublieront pas de sitôt les scandales de l’ancien ministre de l’Intérieur, responsable des débordements policiers du 9 avril, des blessés à la chevrotine des émeutes de Siliana, de l’attaque de l’ambassade américaine et de la fuite de Abou Yadh… M. Majdoub était à l’époque dans le premier cercle de l’actuel SG d’Ennahdha et ceci n’est pas pour rassurer les adversaires du parti islamiste.

Dans ces mêmes coulisses, on indique (sans preuves) que le nouveau titulaire du ministère de l’Intérieur aurait fait la campagne de Moncef Marzouki et qu’il aurait saboté le travail des Nidaistes durant la campagne. Ceci reste à prouver, mais on relèvera quand même que la nomination a fait des heureux parmi les « CPR ». Salim Ben Hamidène a été un des premiers à l’applaudir et à commenter « Je suis optimiste par la résistance de notre révolution en dépit de la résistance des ennemis ».  Pour lever toute ambiguïté, Salim Ben Hamidène dit carrément « nos compétences nous ont été rendues et au diable les pirates » !

Cette « appartenance idéologique pro-troïka » est rejetée par des proches du palais de Carthage qui disent que ceci est faux. Et de rappeler que M. Majdoub a déjà été chef de cabinet de Habib Essid avant d’être celui de son successeur Ali Laârayedh. Et d’indiquer qu’il a tout fait pour limiter la casse durant cette période en bloquant des décisions désastreuses de son ministre nahdhaoui. Quant au témoignage de Ben Hamidène, on le balaie d’un trait en rappelant que les basses manœuvres, pour semer la zizanie, de cet individu ne trompent plus personne.

On notera également que M ; Majdoub aurait été proposé en tant que ministre de l’Intérieur pour remplacer Ali Laârayedh, à l’époque, avant que Lotfi Ben Jeddou soit finalement désigné à ce poste.

 

La nomination de Khaled Chouket, nouveau ministre chargé des relations avec le parlement et porte-parole du gouvernement a été également polémique, tout comme M. Majdoub, il est âgé de 46 ans. Mais ce dernier fait l’unanimité autour de lui, puisqu’il est dénigré dans les deux camps.

Du côté des Nidaistes, on se montre cynique en déclarant que sa nomination va libérer un poste au parlement au profit de quelqu’un meilleur que lui. On rappelle que le ministère en question est sans portefeuille, auparavant occupé par Lazhar Akremi. En clair, on dit qu’il a été sciemment placé sur un siège éjectable. On regrette dans la foulée que ce type de pratiques de basse politique perdure.

Du côté de l’opposition, on sort les armes lourdes. Pour les islamistes radicaux, M. Chouket est carrément un chiite. Pour les membres d’Irada, M. Chouket est un polémiste qui servira à jeter de la poudre aux yeux, puisque ce monsieur saura parler au nom d’un gouvernement qui n’a rien à dire.

 

Mohsen Hassen, nouveau ministre du Commerce également âgé de 46 ans et fait aussi une quasi-unanimité contre lui, mais pour d’autres raisons.

Ancien chef d’entreprise, il traine plusieurs affaires en justice à cause de litiges commerciaux avec plusieurs partenaires. Karim Ben Smaïl, chef d’entreprise et patron de l’une des plus grosses sociétés d’édition en Tunisie, a commenté ainsi cette nomination : « Ben voyons, il avait duré 1 heure en tant que ministre du tourisme, viré suite à une levée de bouclier des créanciers que ce monsieur a roulé dans la farine quand il était “industriel”. J’ai personnellement encore une ardoise qui attend d’être réglée depuis des années, et on est plusieurs dans le pays …

Ministre du commerce ! Je ne sais pas s’il faut en rire ou pleurer. Le loup dans la bergerie. Une révolution pour finir avec ça ? C’est ça la nouvelle génération d’hommes politiques ? »

Avec ce post, partagé près de 1000 fois sur Facebook,  M. Ben Smaïl ne fait que rappeler que ce que « tout le monde » sait déjà. Il rappelle également la polémique d’un an plus tôt à propos du même Mohsen Hassen quand il a été pressenti, un temps, pour devenir ministre du Tourisme. La levée de boucliers a fait alors reculer Habib Essid, mais ce n’était que pour revenir un an plus tard à la charge et le nommer à la tête d’un ministère très sensible.

Samy Chapoutot, chef d’entreprise revient sur cette nomination en optant pour l’humour : « Amis commerçants ne soyez pas surpris si le chèque en bois devient légal en Tunisie », a-t-il relevé, « Pour ma part, s’il y a un point qui me rassure, c’est qu’un élu qui démissionne pour devenir ministre perd son immunité, alors maintenant il va obéir au doigt et à l’œil pour rester ministre ! ». Un témoignage qui atteste de la réputation dont jouit notre nouveau ministre du commerce.

 

Mohamed Khalil, nouveau ministre des Affaires religieuses, est âgé de 63 ans. Il est dénigré et loué par les deux camps à la fois.

Du côté de l’opposition, si l’on est content de cette nomination, c’est beaucoup plus parce que l’on s’est débarrassé de l’ancien ministre Othman Battikh. Mais on ne se fait pas beaucoup d’illusion, on sait que M. Khalil fait partie des « azlem » et que sa position ne diffère pas trop de celle de son prédécesseur.

Du côté des partis au pouvoir, on reproche avec force à Habib Essid d’avoir cédé à la pression d’Ennahdha de limoger M. Battikh. Pour le parti islamiste, et notamment ses sympathisants, l’ancien ministre était l’homme à abattre. Avec ce limogeage, Ennahdha démontre qu’il a vraiment du poids et qu’il sait peser sur les décisions du chef du gouvernement. C’est ce qui frustre les sympathisants des partis au pouvoir qui pensaient en avoir définitivement fini avec les islamistes avec les élections de 2014. Le 6 janvier 2016, ils se rendent compte, à leurs dépens, que la partie est loin d’être finie.

Mais il n’y a pas que ça. En moins de 24 heures, les langues se sont déliées et les recherches sont entamées dans l’historique de M. Khalil. D’après ces rumeurs, qui restent à vérifier, le nouveau ministre aurait eu des antécédents judiciaires dans des affaires de droit commun assez graves.

Faute d’avoir pu confirmer ces éléments et d’avoir eu le temps matériel de vérifier les éléments en notre possession, nous nous abstiendrons de les relayer. On se suffira quand même de cet élément assez insolite, qui reste lui-même à vérifier, Mohamed Khalil aurait été écarté de son poste d’imam de la mosquée Sidi Mehrez et avait été remplacé par Othman Battikh. C’était dans les années 1980. Trois décennies après, ironie du sort, c’est en sens inverse que ce remplacement est effectué.

 

Omar Mansour, nouveau ministre de la Justice est âgé de 57 ans et a été jusqu’à sa nomination gouverneur de l’Ariana. M. Mansour n’est pas étranger à la Justice, il a été président de Chambre à la Cour de cassation de Tunis et doyen des juges d’instruction.

Le nouveau ministre était fortement applaudi pour ses prestations à la tête du gouvernorat de l’Ariana, à la fois compétent et intransigeant. L’on s’attend également avec sa nomination, à une véritable restructuration au sein du département de la Justice.

 

Cela n’a pas empêché Abderraouf Ayadi de s’attaquer à lui avec virulence. Un Ayadi qui a accouché d’un communiqué, accusant M. Mansour d’être directement impliqué dans une affaire liée à Imed Trabelsi ou dans des affaires de tortures qu’il aurait refusé de constater lors de l’instruction. Des accusations, dont la teneur est assez grave, qui restent à vérifier et qui engagent Abderraouf Ayadi.

 

Khemais Jhinaoui, nouveau ministre des Affaires étrangères, est âgé de 62 ans et il est incontestablement un diplomate chevronné. Les anciens du ministère sont même d’accord pour dire qu’il est l’un des meilleurs diplomates tunisiens, voire le meilleur. Où est-ce qui cloche alors ?

Le « point noir » de M. Jhinaoui, selon l’opposition, est sa bio avec sa nomination en avril 1996 par décret présidentiel de chef de bureau des intérêts de la République tunisienne à Tel Aviv.

C’était au lendemain des négociations de paix d’Oslo et la Tunisie avait alors entamé des démarches dans le même sens que l’autorité palestinienne. Les deux présidents Zine El Abidine Ben Ali et Yasser Arafat avaient alors convenu d’une telle démarche qui pouvait aider fortement la politique entamée par le président Arafat à l’époque. L’envoi de M. Jhinaoui par le président Ben Ali à Tel Aviv est en lui-même une preuve de son efficacité diplomatique.

Mais ce n’est pas ainsi que l’opposition de 2016 voit les choses et, pour elle, Khemais Jhinaoui n’est qu’un sioniste ! Un regard et une critique primaires de la politique, mais c’est le seul et unique point que l’opposition a trouvé à reprocher au nouveau ministre.

 

Sonia Mbarek, nouvelle ministre de la Culture, est âgée de 46 ans et figure parmi les plus grandes vedettes tunisiennes de la chanson. Artiste de talent, elle est également ambassadrice de bonne volonté de l’Association tunisienne de lutte contre le cancer. Mais être un grand artiste ne signifie pas que l’on peut être un bon manager et encore moins un bon ministre.

Ce qui est reproché à Mme Mbarek, ce n’est pas d’être inexpérimentée, mais le contraire. Directrice du Festival international de Carthage en 2014 et 2015, son bilan est jugé comme … « mauvais ». Ce supposé piètre bilan fait que l’on récuse sa nomination à la tête d’un ministère très souffrant et ayant besoin d’une véritable cure de jouvence.

 

Anis Ghedira, nouveau ministre du Transport est un des plus jeunes du gouvernement avec Zied Laâdhari et Youssef Chahed. Membre du bureau exécutif de Nidaa, cet architecte est également patron d’une société immobilière. Ancien secrétaire d’Etat chargé de l’Habitat sous le gouvernement Habib Essid I, il est promu ministre grâce à ses bons et loyaux services fournis à son parti et non à ses compétences, selon ses détracteurs.  Chez Nidaa, on ne cesse pas de louer la gentillesse et la sympathie de M. Ghedira, mais les mêmes font valoir que ceci est insuffisant pour devenir ministre. Et encore moins du Transport puisque les études et la carrière de l’intéressé n’ont rien à voir avec ce département. Ce sont les mêmes qui reprochaient sa nomination, il y a un an, au secrétariat d’Etat de l’Habitat sous prétexte de conflit d’intérêt.

 

 

Ce remaniement a aussi été critiqué par la manière dont il a été communiqué. En effet, le chef du gouvernement n’a pas daigné y consacrer un point de presse et l’annonce a été faite par simple communiqué en fin de journée. D’autre part, ce remaniement consacre la forte position d’Ennahdha dans ce gouvernement notamment par la nomination à la Kasbah de Nejmeddine Hamrouni, membre du conseil de Choura du parti, en tant que conseiller chargé de la veille et de la prospective.

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