Patrimoine archéologique : 4 mille saisies depuis la révolution !
17/01/2016
Riche de 40 mille sites historiques et archéologiques, la protection du patrimoine culturel n’est pas de tout repos en Tunisie. 4 milles saisies ont été effectuées ces cinq dernières années. Plusieurs corps et organismes de l’Etat sont engagés dans ce combat, munis de moyens limités.
Depuis la révolution, on entend de plus en plus parler de cas d’atteintes au patrimoine culturel et archéologique tunisien. Le trafic d’antiquité et les fouilles illicites semblent avoir pris des proportions immenses ces dernières années. La situation est-elle réellement devenue inquiétante ? Ou les choses ont été exagérées ? Pour faire la lumière sur ces questions, nous avons interrogé la directrice de l’inventaire général et de la recherche à l’Institut national du patrimoine (INP).
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, les biens culturels mis, aujourd’hui, en vente, sur internet ou ailleurs, ont, pour la majorité, quitté la Tunisie des décennies avant la révolution, affirme notre interlocutrice. « Bon nombre de ces objets ont été exportés avant l’indépendance ou dans les premières années de l’indépendance. C’est notamment le cas des joyaux beylicaux. A cette époque-là, il n’y avait pas encore de législation nationale opposable. Pour la plupart de ces pièces, les ventes s’opèrent, aujourd’hui, par le biais des héritiers », a-t-elle expliqué.
Malgré la complexité de la tâche, l’INP « ne ménage aucun effort » pour rapatrier ces objets de patrimoine au pays. L’institut collabore à cet effet et de « de manière très étroite » avec nos consulats et ambassades à l’étranger. « Nous avons réussi à stopper quelques ventes par le recours à la voie diplomatique et grâce aussi à la bonne réactivité de nos missions à l’étranger », indique la directrice de l’inventaire général et de la recherche. C’est une mission ardue, souligne-t-elle, du fait que ces pièces n’ont jamais été inventoriées. De quoi rendre difficile, voire impossible de prouver leur appartenance à la Tunisie.
Parlant toujours des joyaux beylicaux. Ceux-ci, précise-t-elle, sont conservés par la trésorerie nationale et relèvent de l’autorité du ministère des Finances. Toutefois, l’INP est sollicité à ce sujet pour son expertise. Comme ce fut le cas récemment dans l’affaire d’une émeraude beylicale mise en vente, il y a quelques mois, à Monaco. « La transaction, dit-elle, a été arrêtée et les négociations sont actuellement en cours pour récupérer cette pierre précieuse du ceinturon des beys du trône ».
Par ailleurs, un effort considérable est fait pour lutter contre le trafic illicite des pièces archéologiques. Environ 4 mille saisies ont été effectuées depuis 2011 à ce jour. C’est le résultat d’une collaboration « serrée » entre la douane, le ministère de la Justice et la police judiciaire, indique la responsable. « De plus, ajoute-t-elle, un officier détaché du ministère de l’Intérieur nous aide efficacement dans ce sens. Sa mission consiste à mettre en place un programme sécuritaire pour la protection des monuments et sites archéologiques. Il intervient aussi, sur notre demande, en cas de besoin ».
Cependant, et malgré la sincère volonté de tous les intervenants, il est difficile, selon notre interlocutrice, d’assurer une protection hermétique de ces lieux. La Tunisie regorge, en effet, de 40 mille sites historiques et archéologiques. D’autant plus que certains sont la propriété de privés ce qui complique davantage les choses et fait que ces derniers ne peuvent toujours être délimités. L’INP dispose d’un budget pour acquérir ces terrains, mais la procédure est longue et dure, des fois, cinq ou six ans notamment quand l’affaire devient du ressort des tribunaux à cause d’un litige sur le prix. « Dans bien des situations, le propriétaire n’accepte pas l’offre que nous lui faisons et décide de saisir la justice. Cela fait rallonger les délais vu le temps que ça prend entre la première instance et l’appel », fait-elle remarquer.
Abordant toujours la question des sites archéologiques, la directrice de l’inventaire général et de la recherche nous précise que l’institut a procédé à la délimitation de six grands sites, à savoir : Carthage, Kerkouane, la Médina de Tunis, la Médina de Sousse, le village de Sidi Bou Saïd et le parc du Belvédère. « Ce qui est un pas considérable en prévision des plans de protection, de sauvegarde et de mise en valeur de ces lieux », a-t-elle affirmé.
Interrogée sur le changement de vocation de quelques terrains archéologiques à Carthage, sous Ben Ali, afin de pouvoir construire par la suite des bâtiments, la responsable a répondu qu’un décret émis en 2011 avait procédé au reclassement de l’ensemble de ces parcelles qui ont été déclassées antérieurement. Elle ajoute qu’une commission regroupant plusieurs ministères et experts planche sur ce dossier.
Le trafic illégal des biens culturels n’est pas particulier à la Tunisie. Il existe partout, au nord comme au sud. Ce trafic juteux se développe à vitesse grand V, notamment en ces temps de guerre et de chaos au Moyen-Orient où l’organisation terroriste, l’Etat islamique (Daech) finance, en partie ses combats, avec l’argent des antiquités qu’elle vend à des réseaux mafieux présents, en particulier, en Europe.
Consciente que la lutte contre ce genre de trafic ne se fait pas en solo, la Tunisie a signé en 1974 la convention de l’UNESCO sur les mesures à prendre pour interdire et empêcher l’importation, l’exportation et le transfert de propriété illicites des biens culturels. Elle s’apprête aujourd’hui à signer la convention UNIDROIT de 1995. Celle-ci fait actuellement l’objet d’un examen par l’ARP. Ces conventions ont l’avantage de permettre aux pays signataires d’enregistrer des plaintes quand il s’agit de trafic illicite à l’étranger.
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