Production laitière : l’export ou la mort

07/10/2015

La Tunisie est au bord d’une crise laitière sans précédent. Des millions de litres de lait risquent d’être gâchés dans les égouts à cause d’un excédent faramineux des stocks. Pour éviter « la catastrophe », l’UTAP et l’UTICA ont lancé un cri d’alarme, sollicitant l’intervention des autorités compétentes. Des mesures d’urgence ont aussitôt été annoncées.

 

Les stocks de lait ont atteint un record historique, soit 68 millions de litres. Une surabondance qui a mis en détresse le secteur laitier. « C’est une situation dangereuse pour toute la filière, face à laquelle il faut réagir et prendre les décisions nécessaires et urgentes », ont souligné la chambre nationale des centres de collecte de lait relevant de l’UTICA et l’Union tunisienne de l’agriculture et de la pêche (UTAP) dans un communiqué conjoint.

 

C’est la première fois que les quantités de lait stockées sont aussi énormes. Cette fois-ci, le surplus est beaucoup plus important que les années précédentes ce qui rend, par ailleurs, sa gestion bien plus difficile. Arrivé à saturation, le marché local ne supporte plus des quantités additionnelles de lait. La demande va donc baisser, les prix également et ce sont les producteurs qui paieront la facture la plus lourde.

 

Il faut savoir que la filière laitière se compose de trois acteurs principaux, à savoir : les éleveurs (ou producteurs), le centres de collecte et les centrales laitières (usines de fabrication). Les éleveurs produisent du lait frais qu’ils vendent aux centres de collecte. Ceux-ci le revendent à leur tour aux centrales laitières. En cas d’excédent, ces dernières s’en tiennent à leur stock et suspendent les achats de lait. Résultat des courses, les producteurs, « le maillon faible de la chaîne », se retrouvent avec des millions de litres invendus et des pertes colossales.

 

Pour endiguer la crise, l’UTAP a appelé à une série de mesures. D’abord, il faudra « libéraliser définitivement » l’exportation du lait. Pour ce faire, il a été proposé, de supprimer le système des quotas ainsi que les autorisations préalables. Une demande à laquelle le ministère du Commerce a répondu positivement. Le département de Ridha Lahouel a autorisé, dans un communiqué publié le même jour, l’exportation, sans autorisation prélable, de tous types de lait et de lait fermenté. Il s’agit, indique-t-on, d’une décision prise, à titre exceptionnel, qui entre en vigueur dès mardi 6 octobre.

 

Parmi les solutions proposées, l’UTAP et la chambre des centres de collecte de lait de l’UTICA proposent de transformer une partie de l’excédent laitier en lait en poudre. Cependant, une autre difficulté surgit. « Les centrales laitières préfèrent, en effet, le lait en poudre étranger à celui fabriqué localement, car ça coute moins cher », nous a révélé Amor Behi, vice-président de l’UTAP. Pour contourner ce problème, notre interlocuteur suggère, en premier lieu, d’interdire l’importation du lait en poudre, ou, à défaut, de le surtaxer de sorte que les prix locaux soient plus compétitifs.

 

En même temps, poursuit-il, il faudra élever la capacité de production de l’usine de séchage de lait de Mornaguia. « Celle-ci transforme actuellement 50 mille litres par jour. Alors qu’en tournant en pleine capacité, elle pourrait en transformer 270 mille », précise-t-il.

 

Pour encourager davantage l’exportation du lait, le vice-président de l’UTAP, propose ceci : « L’Etat subventionne actuellement chaque litre de lait stocké à hauteur de 150 millimes. Il reverse également 115 millimes pour chaque litre vendu. Soit au total 265 millimes par litre. Pourquoi ne pas subventionner en payant seulement 100 millimes pour chaque litre de lait exporté ? Cela boostera, d’une part, l’export, rapportera de la devise au pays et aidera à résorber le surplus. D’autre part, ça fera des économies pour le contribuable de 165 millimes par litre ».

 

Par ailleurs, il est à relever que l’Etat avait donné son accord pour effectuer une ponction de 10 millions de litre. Une mesure ayant pour but d’alléger les stocks dans les centrales laitières, relancer la demande et permettre, par ricochet, aux éleveurs de continuer à vendre leur lait.

 

La crise du lait n’est pas un phénomène nouveau. Les producteurs ont dû, maintes fois, jeter leur lait à la fosse. Rappelons qu’une surabondance de 54 millions de litres a été enregistrée en 2010 déclenchant une vague de protestations, à Sidi Bouzid, parmi les éleveurs. Certains observateurs vont jusqu’à dire que cette grogne était à l’origine, à l’époque, de la révolte contre le régime de Ben Ali et contribué à sa chute.

 

Sur les causes de ce surplus, l’UTAP et la chambre des centres de collecte de lait de l’UTICA pointent dans leur communiqué un dysfonctionnement au niveau de la gestion des stocks et une absence de valorisation des excédents. Aussi, parmi les autres raisons, figure la conjoncture touristique actuelle. Rappelons que cette année l’industrie hôtelière a été touchée de plein fouet par les deux attentats du Bardo et de Sousse. La baisse de la clientèle touristique a fait réduire l’approvisionnent des hôtels en produits alimentaires dont le lait.

 

Quant aux mesures du gouvernement pour juguler la crise, même si elles étaient louables, leur effet ne pourra pas, toutefois, être immédiat. Du moins, au niveau la libéralisation de l’exportation, cela nécessite un certain temps ne serait-ce que pour établir des contacts avec des prospects à l’étranger et dégoter des marchés.

 

Il y a environ deux ans, la Tunisie souffrait d’une pénurie de lait en pack. En ce temps-là, l’Etat a importé du lait de la Turquie et de la Slovénie. Le problème a été résolu, plus tard, avec la création d’une nouvelle unité de production de lait à Sidi Bouzid. Aujourd’hui, on souffre d’un excédent de lait frais. Cela amène à se demander s’il y a une politique d’Etat de gestion des ressources laitières ou si les choses se font plutôt arbitrairement ou à l’aveuglette.

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